Scènes

Jason Adasiewicz sort de sa tanière

Alors qu’il se fait très rare ces dernières années, le vibraphoniste a refait surface pour un concert exceptionnel.


Jason Adasiewicz @ Alain Drouot

Le 11 mars, alors que l’exposition consacrée à Roscoe Mitchell fermait ses portes à la galerie Corbett vs. Dempsey de Chicago, le vibraphoniste Jason Adasiewicz rendait hommage au légendaire membre de l’Art Ensemble Of Chicago (AEC) avec un concert en solo.

Keeper Of The Code : Paintings 1963-2022 est la première exposition présentant exclusivement des œuvres de Roscoe Mitchell. Les quatre-vingt-un tableaux réunis dans deux salles, dont la grosse majorité date de 2021 et 2022, soulignent que l’octogénaire n’est pas resté oisif durant la pandémie. Une salle est dédiée aux tableaux les plus anciens dont Third Decade de 1968 qui finira par orner la pochette de l’album homonyme de l’AEC. Les nouvelles toiles frappent par leurs couleurs vives – on note l’omniprésence du rose, par exemple. Les scènes représentent en majorité des visages, parfois imbriqués, et l’utilisation des points par Mitchell renvoie aux peintures aborigènes d’Australie.

Installation view of Roscoe Mitchell, Keeper of the Code : Paintings 1963–2022. Photo : Robert Chase Heishman

En forme d’apothéose, la galerie a invité le vibraphoniste Jason Adasiewicz à donner un concert en solo. Celui-ci a choisi huit compositions enregistrées entre la fin des années 60 et le milieu des années 80 même si « Carefree » lui a été suggérée par le cornettiste Josh Berman et « The Key » par John Corbett, co-propriétaire de la galerie. Le programme est complété par un joker, « Daddy Rollin’ Stone », une chanson d’Otis Blackwell pour laquelle Mitchell a un faible.

À côté du vibraphone se trouve une caisse en bois verte montée sur roulettes. Corbett explique sa présence : au début des années 70, alors que les membres de l’AEC s’apprêtaient à retourner aux États-Unis, ils se sont fait confectionner des caisses sur mesure pour transporter leurs instruments, avec une couleur associée à chaque musicien – Roscoe Mitchell hérita du vert.

Jason Adasiewicz @ Alain Drouot

Le vibraphoniste avoue que transcrire les compositions de Mitchell n’a pas été une sinécure. En effet, il est particulièrement difficile de rendre au vibraphone les inflexions des instruments à vent et à cordes. D’un autre côté, un logiciel lui a permis de ralentir les enregistrements, d’isoler des phrases et de les répéter. Il ne se serait pas vu réaliser ce travail à partir de 33 tours.

L’originalité du jeu d’Adasiewicz repose notamment sur la férocité avec laquelle il peut attaquer les lames de métal de son instrument. De fait, sa présence est incroyablement physique – il se blessera d’ailleurs à un doigt durant le concert. Mais cela ne l’empêche pas de mettre en avant le côté éminemment mélodique des compositions qu’il a arrangées. Parmi les principales réussites, il faut citer « Carefree », que l’on peut trouver sur l’album Full Force (ECM) de l’AEC, qui donne lieu à de belles envolées lyriques tandis que « The Key », tirée de Fanfare For The Warriors (Atlantic), est marquée par de nombreuses notes que le vibraphoniste laisse flotter avant de se remettre à battre le fer. Le seul bémol est l’utilisation intensive de la reverb qui, si elle peut contribuer à créer une atmosphère féérique, notamment lorsque notre homme ralentit le rythme, est parfois dure pour l’oreille et provoque de l’inconfort sous la forme de bourdonnements.

Depuis quelques années, Jason Adasiewicz se fait rare, ayant choisi de prendre du recul. Il ne reste plus qu’à souhaiter que ce concert préfigure un véritable retour à la scène.