Scènes

Jazz Migration, une dixième promotion

Concert de présentation des nouveaux lauréats de Jazz Migration aux Rencontres AJC.


NUBU © Maxim François

24 ans déjà que Jazz Migration existe !
24 ans que l’AJC fait ce travail formidable de sélection afin d’accompagner de jeunes formations qui, à l’instar de Miss France, vont arpenter pendant une année les quatre coins de notre beau pays et nourrir les oreilles d’auditeurs curieux. Les lauréats de cette promotion #10 (depuis 2016 elles sont numérotées) sont au nombre de quatre. Quatre groupes aux esthétiques et formations assez différentes, mais qui ont tous la particularité d’être mixtes. Un fait suffisamment rare pour être souligné et apprécié. Mais qui sont ces femmes et ces hommes qui, le temps d’une soirée, ont fait jazzer Banlieues Bleues ?

Jasmine Lee - MarsAvril © Maxim François

La soirée s’ouvre avec le quatuor MarsAvril, formé il y a deux ans à Tours à la suite d’une rencontre musicale et amicale entre Mathieu Bellon (sax), Pierre Guimbail (g), Jasmine Lee (b) et Benjamin François (d). Partageant une pulsion créatrice et un amour pour les mélodies qui crèvent le cœur, ils oscillent entre les genres et s’inspirent d’artistes aux univers musicaux sensibles, intenses, voire complexes, tels que Connan Mockasin, Marc Ribot ou encore John Coltrane. Leurs musiques prennent pour point de départ une mélodie et se construisent autour d’improvisations, ce qui les rend originales, vivantes et dynamiques.
En les écoutant, la comparaison avec Badbadnotgood parait évidente. Les couleurs de leurs compositions rappellent la mélancolie d’une balade en bord de mer sous un soleil d’hiver. Avec ses pointes d’improvisation free, le saxophoniste apporte un lyrisme et des dissonances. La guitare ajoute une énergie rock trip-hop années 90 alors que la basse fait le liant, créant une profondeur musicale que la batterie bouleverse en multiples éclats et pulsations. Entre quiétude et inquiétude, ils jouent de manière élastique avec une intensité explosive et une sonorité familière. Frôlant la pop, il y a quelque chose de douloureusement joli dans ces enchaînements mélodiques soutenus et nuancés par une batterie qui prévient, accompagne, annonce, intensifie, pousse et rassemble. Sur scène, les jeux de lumière créent une ambiance propice au laisser-aller du corps, à la danse. L’esprit est facilement envoûté par ces mélodies nostalgiques interprétées dans l’euphorie de l’instant, laissant en mémoire une empreinte assez singulière. Leur set se conclut avec le morceau « Makaya » qui réveille de l’univers onirique dans lequel ils nous avaient plongés.

NUBU © Maxim Francois

Puis c’est autour de NUBU. Un groupe au nom assez intrigant dont la signification englobe parfaitement leur identité musicale : Nahash Urban Brass Unit. Nahash, un terme hébreu qui désigne le serpent de la Bible, fait ici référence à l’instrument baroque joué par Elisabeth Coxall. Contrainte instrumentale, mais également source d’inspiration, cet instrument à la particularité de se marier divinement bien avec le chant. Des jeux de voix ingénieux et malicieux dont les timbres s’harmonisent et participent à la création d’un univers musical qui mélange esthétiques, traditions et périodes très disparates. Leur musique dégage une impression de folklore à la fois familier et de contrées lointaines, nouvelles et inexplorées. Tel un laboratoire, ce groupe explore les sonorités en mariant rythme urbain, tambours baroques ou chamanes, harmonies jazz, avec cette contrebasse chaleureuse et ce flugaphone dont le timbre parfois très grave fait ressortir les râles d’un trombone espiègle. Il y a quelque chose de malicieux chez ces cinq musiciens. Une malice faite de nuances, composée avec beaucoup de délicatesse et de maîtrise afin de faire voyager l’auditeur au sein d’histoires et d’aventures dont eux seuls ont le secret. Les rôles sont magnifiquement distribués, permettant de laisser suffisamment d’espace à chaque instrumentiste. Leur set se termine par « Dansé Phasé », un morceau aux mille facettes composé par Victor Auffray, qui démontre ici l’étendue de sa maîtrise vocale dans une improvisation délirante qui électrise un public envoûté. Ce titre figurera dans leur album dont la sortie est prévue en 2025.

Sélène © Mélodine Lascombe

Après une courte pause, Sėlēnę prend la relève. Un trio qui prend racine sur l’île aux pailles-en-queue, dont les membres sont issus d’origine et d’horizons musicaux assez différents : le classique et les musiques arméniennes pour Mélanie Badal (cello), le maloya et le jazz pour Mahesh Vingataredy (d), et le rock psyché pour Blaise Cadenet (g). Ensemble, ils créent un univers musical unique mêlant arrangements de musique arménienne et compositions originales. Un projet musical assez expérimental, que Mélanie Badal décrit au micro de Radio France comme « entre la pureté d’une mélodie et la beauté de la noise, du son et de la matière. ». Leur set débute par une fresque de trois morceaux où se superposent des mélodies accompagnées aux allures noise psychédéliques. Par-dessus, un chant arménien rythmé est embelli par les ornements d’un guitariste qui apporte une richesse mélodique. Au fur et à mesure se crée un relief sonore désarticulé, mais dont l’union se fait grâce à la batterie. À quelques reprises, des enregistrements vocaux sont utilisés avec ces voix d’hommes et de femmes clamant des fragments de poèmes qui accompagnent un son distordu, saturé pour ensuite revenir à un ensemble plus harmonieux. Tout est question d’équilibre afin de créer des tableaux au sein desquels on retrouve la personnalité de chaque musicien. On retient surtout de leur performance le morceau « Ambe » (qui signifie « nuage » en arménien) qui, pareil à une tempête de foudre ou une pluie de feu, laisse place à un « Blues d’orient » plus doux et sensuel, mais tout en gardant l’intensité sonore et poétique qui semble les caractériser.

[NA] © Maxim Francois

La soirée se termine avec [NA], un trio d’une énergie ravageuse et qui rappelle The Ex et Gétatchèw Mèkurya avec l’éthio-jazz et ses inspirations mandingues. Au-delà des jeux de doigts furtifs de Rapahël Szöllösy (g), il y a quelque chose d’électriquement festif dans leur musique. Une impertinence musicale nouée d’un génie lyrique et d’une liberté cathartique. Un son parfois lourd et imposant, qui sait se nourrir de silence et faire de la douceur une source d’énergie afin d’arriver à l’explosion et une envie de headbanging. Comme avec le morceau « On attend l’Euphorie » qui traîne cette mélodie rockeuse et entêtante ! Les modulations rythmiques emmenées avec fluidité et délicatesse par Selma Doyen (d) créent des espaces de liberté fous pour Rémi Psaume et son saxophone baryton qui barytonne ! Il ajoute un côté dirty à ces rythmes très punk et no wave qui rappellent VV.AA. Une mélancolie à réveiller les rugissements de colère enfouis et les éclats de rire de bonheurs oubliés. Un esprit libertaire incarné dans une musique insurrectionnelle simple, efficace, avec un bon fond de blues saturé et de free soufflé. On aime, on adore, on en veut encore, plus ! davantage ! Un diamant brut qui dynamise et fait remuer les genoux ! 


Ces quatre groupes de la sélection Jazz Migration, vous les retrouverez en 2025 dans la programmation de vos festivals et salles préférés. On vous conseille de ne pas les manquer !