Scènes

Jazz With, cuvée made in Europe

Concert de clôture des Rencontres AJC avec le nouveau programme Jazz With.


Luise Volkmann © Maxim Francois

La dernière soirée des Rencontres AJC se clôture avec la présentation des lauréats de la première édition de Jazz With. Il s’agit d’un tout nouveau programme de soutien à la création franco-européenne qui s’inscrit dans les valeurs défendues par l’AJC depuis plus de 30 ans : développer et soutenir des projets créatifs paneuropéens. Parmi les centaines de candidatures, trois lauréats ont été sectionnés. Trois formations composées d’instrumentistes et compositeurs talentueux et dont la réputation n’est plus à faire, mais qui - avec ce projet - s’essaient à de nouvelles expérimentations et attestent de la vitalité de la scène jazz européenne actuelle.

Volkmann/Jarret/Andrzejewski © Maxim Francois

C’est le trio CHEEL Luise Volkmann/Paul Jarret/Max Andrzejewski qui ouvre le bal avec beaucoup de sobriété. Fondée en 2023 à la suite d’une carte blanche de la saxophoniste Luise Volkmann au Hannover Jazz Festival, cette formation joue avec une intensité musicale qui se déploie dans un gant de soie. Les silences sont maîtrisés à tel point qu’ils en deviennent saisissants et embellissent les moments d’improvisation pendant lesquels mélodies et rythmes se frictionnent. Une musique expérimentale, sérieuse, qui pourtant fait étrangement bouger la tête. Voire même le corps entier grâce au batteur Max Andrzejewski dont les mouvements rappellent ceux d’un pantin désarticulé, imprégné d’un rythme qui sans cesse enchaîne les motifs les plus inattendus. Frôlant parfois une forme de bruitisme, le tout est rattrapé par le souffle doux, le son rond et les mélodies lancinantes de la saxophoniste. Paul Jarret, à la guitare, utilise l’ensemble de son instrument pour en faire une véritable boîte à son. Ils nous emmènent de façon très fluide dans un paysage sonore qui mélange chansons folkloriques et improvisation. Une performance aussi fascinante qu’élégante.

WEAVE 4 © Maxim Francois

Puis c’est au tour du collectif Weave 4 [1] de prendre le relais. Composé de deux binômes aux carrières musicales très complémentaires, ce collectif interprète des pièces très improvisées. La direction commune leur permet une liberté quasi totale dans les pérégrinations et l’expérimentation sonore. Chaque morceau semble être une aventure dont on ne distingue plus le trajet, laissant le public dans un état presque méditatif. Tout motif est repris, puis transformé, presque digéré pour disparaître et se réinventer en un nouveau thème, un nouvel ensemble harmonique ou une nouvelle phase rythmique. Le morceau « One Cross Spoke » montre l’aspect très organique de leur musique qui tisse un réseau ramifié tel un mycélium. Tout est question de contrastes, de nuances, mais aussi de prises de risques. Les dissonances ajoutent un caractère plutôt free à l’ensemble. Une expérience sonore audacieuse et intrigante.

T.I.M © Maxim Francois

La soirée se clôture avec T.I.M (Tomorrow Is Minimalist. Three independant Motions. Tall, Infinite, Microscopic.) et son folklore aux variations aléatoires. Chaque morceau raconte ou s’inspire d’une histoire, d’un brin de vie. La voix de Karoline Wallace, mariée à des bandes sonores, crée un relief musical qui fait ressortir le piano et le violon. Inger Hannisdal varie entre un jeu qui rappelle le folklore norvégien (sur son violon Hardanger traditionnel) et certaines mélodies orientales qui se marient merveilleusement avec les prises de voix. Une musique pleine d’images orchestrée par le pianiste Sébastien Palis qui, entre les nappes sonores, se balade de mélodies en improvisations. Au-delà d’une expérimentation mêlant acoustique et électronique, ce projet s’accompagne d’une recherche assez approfondie autour de l’hybridation ou le réarrangement des musiques folkloriques et endémiques. En atteste le morceau « Pertsi » : en s’intéressant aux travaux de l’ethno-historien Jean Mallaurie au Groenland, Palis découvre l’enregistrement d’une femme chantant une comptine. Le morceau est construit autour de cet enregistrement, dont la mélodie reprise au piano sera ensuite déconstruite, harmonisée, complexifiée par le violon et magnifiée par le trio qui nous livre une performance d’une douceur et d’une poésie absolues.
 

par Mélodine Lascombes // Publié le 15 décembre 2024

[1Francesco Bigoni, clarinette et sax ténor (Italie) - Benoît Delbecq, piano et synthétiseur de basse analogique (France) - Francesco Diodati, guitare, fx (Italie) - Steve Argüelles, batterie et usine (Royaume-Uni, France)