Scènes

Jazz à Vienne 2013 : Sixto Rodriguez/Olivier Gotti

Le revenant Sixto Rodriguez, dit « Sugar Man » a été, le 5 juillet, une des rares déceptions de cette trente-troisième édition. Le 11, un jeune bluesman aixois assurait, seul sur scène, la première partie de Santana.


Le revenant Sixto Rodriguez, dit « Sugar Man » a été, le 5 juillet, une des rares déceptions de cette trente-troisième édition de Jazz à Vienne. Le 11, un jeune bluesman aixois assurait, seul sur scène, la première partie de Santana.

Fallait-il attendre un miracle de cette pseudo-légende née du documentaire Sugar man qui a permis à Sixto Rodriguez de remonter sur scène, à soixante-dix ans, après avoir totalement disparu des écrans radar et s’être abstenu de chanter pendant près de trente ans ? Le miracle n’a pas eu lieu. Heureusement, le chanteur d’origine mexicaine était entouré de solides pointures qui ont masqué une bonne partie de ses insuffisances. Dommage, la légende était belle !

Il va sans dire que le public attendait - en première partie de Ben Harper - de voir qui était ce fameux Rodriguez que personne n’avait jamais entendu sur une scène à Vienne et que Stéphane Kochoyan, directeur du festival avait réussi à décrocher au grand dam de ses confrères programmateurs. Sans doute le musicien le plus énigmatique qui ait arpenté la scène du Théâtre antique. En effet, ce fils d’immigrés établis dans le Michigan, auteur de deux disques dans les années 70 (aujourd’hui réédités), a connu un vif succès à son insu en Afrique du Sud au moment de la lutte contre l’apartheid avec son album Cold Fact, qui s’y est vendu en toute illégalité à… 500 000 exemplaires, dit-on. Ce qui a amené deux jeunes cinéastes, Malik Bendjeloul et Simon Chinn à partir avec Sugar Man à la recherche de l’Américain oublié du show business qui était entre-temps devenu ouvrier. Le film leur a valu l’Oscar du documentaire en 2013. Projeté cette année dans quelques rares salles, Sugar Man a nourri la légende qui, depuis, s’est amplifiée.

Mais du mythe à la réalité il y a, on s’en doute, un grand pas. Le retour de Rodriguez, longs cheveux, lunette noires et chapeau noir informe est décevant, voire à la limite du pitoyable ; ses musiciens lui ont sauvé la mise, mais cela ne l’a pas empêché de chanter a cappella, et plutôt faux. Au moins, repris en main par la machine du show business, aura-t-il eu son quart d’heure de gloire wharolien.
Il termine avec un « Shake It Baby » qui ne restera pas dans les annales bluesy. Rideau, ouf !

Mais tout n’est pas perdu : Sixto Rodriguez avait ses fans sur les gradins, peu disposés à avouer une déception qui se lisait pourtant sur leur visage, mais il faut reconnaître que la majorité du public était venue faire un triomphe à Ben Harper, accompagné de l’excellent harmoniciste Charlie Musselwhite. Spectateurs assis jusque dans les escaliers, serrés comme des sardines devant la scène, plus un espace de libre : plus de sept mille festivaliers. Harper nous fait vite oublier Rodriguez, qu’on n’est pas près de revoir à Vienne.

Line up : S. Rodriguez, (voc, g), Dan Moore (keys), Andy Lowe (b), Matt Brown (dms).


Au chapitre des révélations de ce cru 2013 : un jeune Aixois à l’accent nasal des chanteurs du Deep South américain, Olivier Gotti, jeté, seul, dans la fosse aux lions avec sa guitare lapsteel pour seule compagne, et qui s’en tire en définitive fort bien. La fosse aux lions… On ne sait si ce genre de spectacle existait il y a deux mille ans, à l’époque de la construction du théâtre antique de Vienne. C’est en tout cas l’impression que donne le musicien en arrivant, tout intimidé, sur la scène en première partie de Carlos Santana. Il faut dire que près de huit mille personnes ont pris place sur les gradins en ce jeudi 11 juillet, tandis qu’il s’installe sur une malheureuse chaise, sa Weissenborn bien à plat sur ses genoux. Tout seul, alors qu’il y a quelques mois encore, au volant de son van, il écumait les festivals de blues dans un relatif anonymat. C’est une place de demi-finaliste à l’International Blues Challenge du Tennesse en février dernier qui l’a sorti de cet anonymat. (Il a également été lauréat du prix « Acoustique » 2011 au tremplin national du Festival Blues sur Seine.)
Un des quatre programmateurs de Jazz à Vienne, Jean-Pierre Vignola, l’y a déniché, et a pris le risque de le proposer avant le jazz rock latino de Santana. Et crânement, cet autodidacte qui reconnaît ne pas savoir lire la musique et a poussé la ressemblance jusqu’à reprendre, voix bluesy à souhait, l’accent nasillard des chanteurs du Deep South, assure tant vocalement qu’instrumentalement. Pas de tentative d’évasion vers d’autres styles : on le sent habité par la tradition. Il termine son tour de chant avec une version du « Billie Jean » de Michael Jackson superbement revisitée. Jolie découverte. On a hâte de le réentendre, sa prestation ayant été un peu trop courte, comme l’exprime le public avec force sifflets. Il ne reviendra pas : il faut laisser la place à Maître Santana, à son mur de percussions et à son déluge de décibels