Scènes

Jazz à Vienne 2013 : un triple festival

Les festivaliers sont de plus en plus nombreux à suivre les concerts gratuits du festival, en plus grand nombre cette année. Ce qui n’a pas empêché le théâtre antique d’accueillir 6% de spectateurs en plus par rapport à 2012.


Affluence croissante devant les quatre scènes gratuites qui fonctionnent en continu de midi à trois heures du matin et où se fabrique le jazz contemporain

Jazz à Vienne 33e édition a refermé ses portes, soulagé. Selon les chiffres communiqués par les organisateurs, le théâtre antique – seule scène payante de ce festival qui vit avant tout de sa billetterie - a connu des taux de remplissage enviables. Au final, six des quatorze soirées auront affiché complet (environ 7 500 personnes) et les huit autres ont été correctement remplies. Ce qui tend à prouver que la programmation a fait mouche, que le cocktail retenu, très divers puisqu’allant du jazz le plus classique jusqu’à Cuba en passant par toutes les formes de salsa, blues, tex-mex, gospel et autre disco-funk, a trouvé son public.

Côté artistique, le bilan est autre. Entre la contrainte inhérente (remplir un théâtre de 7 500 places), l’absence de grands noms à même d’attirer 7 à 8 000 personnes (Ahmad Jamal, Chick Corea), et l’évolution du goût du public, il est risqué d’organiser une soirée 100% jazz telle celle qui a réuni Sclavis-Portal-Texier et Jacky Terrasson. On se souvient à ce sujet du mot de Jacques Launay, ancien directeur de Vienne, qui remarquait, à propos de soirées jazz peu fréquentées : « Je peux me planter sur deux soirées, mais pas sur trois ». Ce qui était vrai au temps où le festival était encore une association l’est encore plus maintenant qu’il est constitué en Epic (Etablissement public industriel et commercial). D’où la méthode mise en place par l’équipe de programmation et qui semble destinée à durer : d’un côté, faire appel à quelques têtes affiches, même étrangères au jazz (Santana, Hugh Laurie l’an passé), gages de salles combles, donc de pérennité de l’événement, et de l’autre, mêler jazz ou musiques improvisées à d’autres musiques plus familières le temps d’une soirée, en programmant trois formations au lieu de deux, à charge pour la première d’écourter sa prestation. Intérêt de la chose : permettre à un public venu écouter tel artiste de renom de découvrir des talents nouveaux pour lui.

La magie au rendez-vous de Cybèle

Mais ce qui est vrai – et périlleux - au théâtre antique, où le prix de la place peut désormais monter jusqu’à 46 euros, ne l’est plus du tout dès qu’on regarde ailleurs dans le festival. De fait, durant quinze jours se concentrent sur les quatre autres scènes des dizaines de concerts où le jazz règne en maître. Tous styles. Tous profils. Toutes formations. Du plus manouche au plus électro. Un panorama infini de ce que le jazz sécrète aujourd’hui, livré en version marathon : de midi à 3 heures du matin, le festivalier se voit proposer une succession ininterrompue de concerts. L’ambiance la plus chaude se trouve au Jazz Mix qui, implanté au bord du Rhône, est chargé de boucler la nuit. Mais le lieu le plus chaleureux est le site de Cybèle, avec ses trois plateaux successifs. C’est sans doute au Club de Minuit, au Rezzo ou sur la scène circulaire qui a pour décor les grands murs romains, qu’on a pu écouter les musiques les plus innovantes, les formations les plus fraîches ou les concerts les plus extraordinaires, tels ceux de Pierrick Pédron et de Guillaume Perret.

Ces lieux d’accès gratuit sont financés, peu ou prou, par le théâtre antique. On comprend alors que de nombreux festivaliers s’attachent de plus en plus à ce festival « bis », choisissant leurs plages horaires (après-midi – début de soirée ou fin de nuit) pour s’inventer leur propre festival et courir d’un lieu à l’autre en semaine ou le week-end, au gré du vent et de la musique. Finalement, cette spontanéité voulue colle bien mieux à l’image du festival comme moment généreux, bénévole, inventif que l’organisation de plus en plus disciplinée du théâtre antique.

Au sortir du festival, lors de la dernière conférence de presse, Stéphane Kochoyan, directeur du festival et Christian Trouiller, président de l’Epic, annoncent leur volonté de faire évoluer Cybèle, centre de gravité grandissant du festival. Sauront-ils éviter que la dite évolution, même pétrie de bonnes intentions, soit « fatale » à ce lieu bon enfant, en plein centre-ville, qui mêle ruines romaines, bar éphémère, scène actuelle, concerts multiples et jardin public propice aux flâneries nocturnes ?

Alors que les festivals européens souffrent de plus en plus de la crise, de leur multiplication même et de la concurrence exacerbée, sans parler de l’augmentation parfois vertigineuse des cachets, Jazz à Vienne, pourtant positionné en tout début d’été, a donc correctement tiré son épingle du jeu, même si les grandes soirées jazz sont, de plus en plus, un souvenir…