Tribune

Jazz, vin et grève de la faim


« There is no business like show business »

Le petit monde bordelais du jazz et du vin vient d’être traversé par une affaire un peu étrange, qui s’est heureusement terminée par un accord entre les parties, et qui a mis en cause et en scène un saxophoniste de jazz et directeur d’un festival d’été nommé « Jazz & Wine » (Jean-Jacques Quesada), et la structure dite « Bordeaux Grands Événements » présidée par Stéphan Delaux, adjoint au maire de Bordeaux en charge du tourisme.

Le motif de la brouille était le suivant : J.J. Quesada prétendait percevoir 15 000 euros d’honoraires pour une étude effectuée en 2009 relativement à un projet de soirée jazz lors de la fête du vin, ou du fleuve (à Bordeaux les fêtes sont si nombreuses qu’on s’y perd, le vin, le fleuve, l’estuaire, l’esturgeon, la lamproie, les pibales, et j’en passe…), projet classé sans suite (comme tant de projets qu’on nous enjoint de pondre et qui ne sont même pas lus !) au profit d’une soirée nommée « Marciac In Bordeaux », qui vit donc le festival du Gers présider à la programmation d’un concert de jazz aux Quinconces, avec je ne sais plus qui de pas vraiment fondamental, et à des tarifs assez élevés. Aux dires de ceux qui ont participé à l’élaboration du projet, ce fut une affaire juteuse pour un certain nombre de personnes, toujours un peu les mêmes, et certainement pas les artistes…

Mais le problème de J.J. Quesada n’est pas là. Il estimait qu’on devait lui payer son travail, et il décida un peu soudainement le 28 septembre 2011, à l’occasion d’une rencontre avec des journalistes destinée à faire le point sur son festival d’été « Jazz & Wine » - que nombre de musiciens français et étrangers connaissent bien puisqu’ils y sont programmés (je pense à Laurent De Wilde, Stéphane Belmondo, Manuel Rocheman, Kirk Lightsey, Don Moyé, Darryl Hall, Yoni Zelnik, Billy Hart, Baptiste Trotignon, Dré Pallemaerts, Glenn Ferris, Rémi Vignolo, Pierrick Piedron, Thomas Bramerie, Rosaroi Giuliani, Pierre de Bethmann) il décida donc ce jour-là de commencer une grève de la faim au motif que « Bordeaux Grands Événements » lui devait 15 000 euros. Il demandait à être reçu par Alain Juppé pour tirer cette affaire au clair.

Profitons de l’occasion pour faire un petit tour dans le « pays jazz » bordelais, comme dirait notre ami Guy Le Querrec qui a inspiré, par ce jeu de mot approximatif, l’appellation du festival de Capbreton (anciennement dit « des Contrebasses ») sans que personne ne songe à lui demander son avis. De quoi est-on « propriétaire » dans la vie ? Dans la vie des mots par exemple ? On verra que la question est bien là, mais n’anticipons pas.
Les jazzmen bordelais sont, dans l’ensemble, ni mieux ni moins bien organisés qu’ailleurs, chacun tirant un peu la couverture à lui s’il le peut, mais capable aussi de solidarité quand il faut. Et avec cette « séparation » formelle, pas toujours très étanche heureusement, entre le « jazz » et les « musiques improvisées ». Nommons-en quelques uns : les batteurs Bertrand Noël, Didier Lasserre, Mathias Pontevia, Philippe Gaubert, Didier Ottaviani, Guillaume Nouaux, Pascal Legrand. Les contrebassistes Nolwen Leizour, Timo Metzmakers, Olivier Gatto, Christophe Jodet. Les saxophonistes Frédéric Borey, Guillaume « Doc » Thomachot, Guillaume Schmidt, Alain Coyral, Alex Golino. Les guitaristes Monsieur Gadou, Dave Blenkhorn, Christophe Maroye. Les pianistes Hervé St Guirons, Serge Moulinier. Les trompettistes Pascal Drapeau, Fred Dupin. Les chanteurs ou chanteuses Stéphane Séva, Laurence Jay. Et j’en oublie beaucoup, et qu’ils veuillent bien me pardonner.

Tous ces musiciens se connaissent, se parlent, sont plus ou moins rivaux et en même temps partenaires, mais tous (ou presque) ignorent le travail de J.J. Quesada. Le fondateur de « Jazz & Wine » est un isolé, cela ne semble pas lui déplaire puisqu’il entretient avec des instrumentistes français ou américains d’excellents rapports de travail. Élève puis ami de Dave Liebman, il sait mettre en place la demi-douzaine de concerts de son opération d’été, à la satisfaction générale et à la sienne par la même occasion. Les châteaux offrent le lieu et le vin (dégustation gratuite), les collectivités territoriales (région et département) aident à la production par des subventions très convenables, la SACEM et la SPEDIDAM viennent en complément, bref tout le monde est content.
Quesada fait-il des jaloux auprès des autres musiciens bordelais ? C’est possible. Mais il est aussi, par sa démarche, par sa façon de faire, un grand individualiste.

Lors de cette grève de la faim, qui s’est donc terminée le 19 octobre 2011, Jean-Jacques Quesada ayant obtenu « quelque chose » de BGE (pas d’être reçu par Alain Juppé quand même…), aucun musicien bordelais ne s’est ému, tous ont regretté que le fondateur de « Jazz & Wine » soit obligé d’en arriver là, mais tous, au fond, savaient qu’il avait une idée en tête, et n’avait trouvé que ce moyen pour arriver à ses fins. Stéphan Delaux a donc convenu avec lui que désormais, et dans l’avenir, il serait associé aux diverses fêtes du vin, du fleuve et autres réjouissances touristiques de la ville de Bordeaux.
Tout est bien qui finit bien. A ceci près quand même que lors de la médiatisation de cette affaire, par Bordeaux 7 et Sud Ouest->http://www.sudouest.fr] notamment, (voir liens ci-dessous), un détail est venu écorner le portrait de notre saxophoniste et acteur culturel girondin. En effet, l’appellation « Jazz & Wine » avait été utilisée par des gens de Pauillac qui, il y a quelques années, avaient fondé une petite manifestation d’été sous ce nom. Jean-Jacques Quesada avait joué dans ce festival, et comme il avait trouvé ce nom sympathique, il l’a repris à son compte, après avoir vérifié qu’il n’avait pas été déposé, et après l’avoir lui-même déposé. Et quand les gens de Pauillac ont voulu reprendre leur festival sous ce nom, le sopraniste leur a opposé l’argument juridique. Comme quoi, l’arroseur est parfois arrosé, et notre homme capable de dénoncer des pratiques (le « vol » d’une idée) dont il n’ignore rien puisqu’il les met lui-même en œuvre. Nous vivons décidément dans un monde cruel…

Quand je croise J.J. Quesada et que nous échangeons quelques propos sur la situation du jazz à Bordeaux, il ne manque pas de me rappeler avec un grand sourire que « there is no business like show business » … N’est-il pas, en effet ?


Quelques liens pour en savoir plus, ou autrement :