Scènes

Jazzin’ Cheverny 2011


C’est avec le village que le premier contact se fait : une rue principale et, de chaque côté, se distribuent maisons et bâtiments ; dans le parc central, le château qui a servi de modèle au célèbre Moulinsart. Pas d’immense chapiteau, pas d’écrans géants, pas d’étalages envahissants. La ville possède une dizaine de commerces et l’association une poignée de stands : la billetterie, une buvette, le magasin - délocalisé - Harmonia Mundi de Blois et une table proposant quelques produits dérivés : tee-shirt, casquettes… À Cheverny on respire et on a tout loisir de savourer la musique - et, éventuellement, le vin.

Jazzin’, le petit nom du festival, a élu domicile au pied de la façade, qui date du du XVIIè. Des jardins à la française disputent l’espace au gravier, et les premiers pas peuvent faire craindre que le bruit ne viennent concurrencer la musique. Fort heureusement il n’en sera rien. Soleil, températures opportunes et ciel bleu sont au rendez-vous et, quand la nuit tombe, entre deux concerts, le lieu garde tout son charme. Les organisateurs ont le sourire : cette quatrième édition se présente sous de bons auspices. La programmation 2011 est d’ailleurs alléchante puisque les trois têtes d’affiche sont Sixun, le duo Youn Sun Nah / Ulf Wakenius et Avishai Cohen en trio.

Le premier soir, vendredi 30 juin, Sixun présente un spectacle tonique et coloré que Paco Sery, entre autres, anime d’une main de maître au lamellophone ou en duo avec Alain Debiossat au sax ; on retiendra un très africain « Sanza Univers », mais aussi une très belle valse signée par le saxophoniste, « Valsega », ou l’incontournable « Essaouira ». Le tout dans un esprit fusion largement influencé par Joe Zawinul. Quand, pour le rappel, le public se lève (presque) spontanément pour se rapprocher de la scène, on prend toute la mesure de la dimension festive de Sixun. On peut regretter que le concert soit quasi identique au disque (Live in Marciac), mais il est, incontestablement, de très haute tenue.

Les deux soirées suivantes sont les plus marquantes, probablement parce que plus originales. Le vendredi, Jazzin’ Cheverny a programmé Avishai Cohen en trio avec Amir Bresler à la batterie et Nitay Hershkovitz, pianiste qui faisait pratiquement ses débuts avec cette formation. On pouvait appréhender ce nouveau line-up, ou regretter que le contrebassiste se produise « seulement » en trio. Mais on est vite rassuré : Hershkovitz déroule un jeu en tout point admirable et cette configuration donne à Seven Seas et Aurora un côté épuré, poétique. Le public ne s’y trompe pas et le concert se termine par un tonnerre d’applaudissements. Le rappel est particulièrement fort, d’abord avec l’émouvant « Alfonsina y el Mar », en solo par Avishai himself (c’est aussi un des rares morceaux chantés), puis, en trio, avec une réinterprétation ô combien heureuse de « Besame Mucho ». Une atmosphère de douce béatitude plane dans la cour du château bondée lorsque le public quitte les lieux.

Le samedi, c’est le duo Youn Sun Nah / Ulf Wakenius qui conquiert le public. Celles et ceux qui ont écouté le tout récent Same Girl pouvaient s’attendre à un concert de très grande qualité. Il fut d’une beauté enchanteresse avec tout d’abord « Calypso Blue » de Nat King Cole, et « Frevo » d’Egberto Gismonti, issus de l’album Voyage (2009). Quand Youn Sun Nah annonce une chanson en français, on s’attend à « La chanson d’Hélène », seule chanson en français de Same Girl. C’est, contre toute attente, une version très personnelle d’« Avec le temps » qui se termine comme l’original, par un poignant « … on n’aime plus ». Car, malgré une reprise de Metallica ou encore un fabuleux « Breakfast in Bagdad », ce soir Youn Sun Nah chante l’amour : « Kangwondo Arirang », berceuse de son pays, ou « My Favorite Things », chanson qu’elle a connue via la version coréenne que chantait par sa cantatrice de mère. Un rappel accompagné d’une boîte à musique et, tandis que le papier se déroule, on voit malheureusement poindre la fin du concert.

Parmi les formations moins en pointe, notons la prestation, en ouverture, du trio de Benoît Lavollée (vibraphone) avec Baptiste Dubreuil (piano, Fender Rhodes, mini-Moog) et Nicolas Larmignat (batterie), qui propose une musique obsédante, les instruments développant une atmosphère parfois planante où percussions et harmonie s’imbriquent. Très belle découverte. On retiendra également, dans le cadre du « off », Groove Catchers, un trio batterie-basse électrique-saxophone vainqueur du Tremplin Jazz de la Défense 2011 où l’influence de Joshua Redman semble décisive. On pourra également retenir le trio Elbasan et son interprétation originale de la musique des Balkans.

Jazzin’ Cheverny, quatre ans d’âge seulement, est une manifestation de premier plan dans la région Centre : cadre, envergure, ambiance, sa programmation… Les organisateurs ont trouvé là un équilibre parfait. Cette année, le soleil - qui était comme nous de tout cœur à Cheverny - a lui aussi trouvé l’endroit accueillant en ce long week-end. Peut-être avait-il des tuyaux ?