Scènes

Jazzkaar 2022, jazz en Baltique

Retour sur l’édition 2022 du Jazzkaar, festival de jazz de Tallinn en Estonie.


Siiri Sisask au Jazzkaar 2022 © Teet Raik

Le Jazzkaar 2022 de Tallinn a fait le plein de concerts. Une aspiration après la sinistrose liée au covid et ses conséquences sur le spectacle vivant ? Peut-être ? En tout cas, la musique s’est invitée une semaine durant avec force, fracas et bonheur.

Pour son édition 2022, le Jazzkaar avait programmé deux très grandes têtes d’affiche, en l’occurrence Dee Dee Bridgewater et Kenny Garrett qui ont proposé deux concerts tout à fait réussis. Et puis, entre ces mastodontes du jazz, il y eut des noms un peu ou beaucoup moins en vue. Car si le trompettiste Avishai Cohen, la chanteuse China Moses ou encore le mandoliniste Hamilton de Holanda sont des musiciens dont la notoriété est grande, d’autres - la scène nationale notamment - sont bien moins connus. Mais, du groupe confidentiel à la superstar, il y eut des perles, de celles qui laissent le public bouche bée et bras ballants.

Le concert d’Avishai Cohen sur son projet « Big Vicious » ou celui d’Hamilton de Holanda, en grande partie autour de la musique d’Antonio Carlos Jobim, furent de ceux-là : spectateurs éberlués, salle sidérée et « whaou » collectif. Tout comme le trio de Maria Faust - elle y était en compagnie de Lars Pilgaard à la guitare et Anders Vestergaard à la batterie - qui a laissé un Fotografiska plein à craquer complètement baba. Le parti pris esthétique n’était pourtant pas évident. Sons malaxés et triturés, allers-retours incessants entre consonance et dissonance, tout a contribué à créer un immense espace de liberté. On aurait dit que le « jazz catastrophe » - les mots sont les siens - ouvrait sans exception toutes les portes, toutes les fenêtres, tous les trous de souris pour que s’y engouffre la création. Àchaque génération, un certain nombre de musiciens révolutionne les genres, les propos, les normes, bouscule pour ré-organiser et agrandir l’espace des possibles. Maria Faust, avec d’autres bien sûr, en fait indubitablement partie.

Maria Faust trio au Jazzkaar 2022 © Sven Tupits

Il y eut bien entendu d’autres moments forts. Le quartet de Marciej Obara ou le trio_io, deux formations polonaises programmées dans le cadre du partenariat avec Katowice (les deux villes ayant été labellisées villes de musique par l’UNESCO), le duo entre Raivo Tafenau et Meelis Vind, augmenté à l’occasion d’un concert de Ricardo Padilla, en font partie.

Le festival s’est aussi permis quelques pas de côté en convoquant la funk, la chanson ou la pop music avec le projet de Marten Kuningas autour de David Bowie ou encore Neon Fir. Mais si ces deux derniers projets étaient exclusivement dans la pop rock, le nonet mené par Kristjan Randalu et Siiri Sisask avait des couleurs jazz évidentes. Quant au « Respect the Funk » du Siim Aimla Funk Band - qui avait invité à cette occasion Alika Milova et Eleryn Toit - le lien de parenté entre le genre et le jazz relève de la très proche famille. La remarque vaut aussi pour les Dirty Loops, dont l’émergence fulgurante sur la scène musicale en 2008 a, selon nombreux critiques, bousculé le monde du jazz. Elle vaut tout autant pour le concert de Cätlin Mägi, joueuse de guimbarde dont le parti pris s’inscrit, avec une forme de militantisme d’ailleurs, dans ce qu’il est convenu d’appeler le néo-trad. Son concert en solo, constitué de loops, chants, flûte et bien entendu guimbardes, en faisait une femme-orchestre. Ce souci de travailler les traditions, en l’occurrence estoniennes, est en effet l’occasion de faire de cultures minoritaires des espaces de vie. Le jazz s’en accommode très bien et depuis fort longtemps. D’ailleurs son concert précédait immédiatement celui de Kenny Garret dont l’intitulé, « Sounds from the Ancestors », est lui aussi, dans un autre champ culturel, la continuation de traditions musicales.

Le festival s’est clos sur une touche romantique avec le concert de Cyrille Aimée. Il incombait à la chanteuse française installée à la Nouvelle-Orleans et ses musiciens, dont le toujours excellent Laurent Coulondre, de donner le ton du final. Entre chansons en anglais, en espagnol ou en français, dont une reprise de « La Javanaise » chant et ukulélé, un sens de la scène plus qu’évident et une dose d’humour carrément appréciable, son concert s’est terminé sur une standing ovation. Une mise en abyme, pour tout dire.