Chronique

Jean-Jacques Birgé

Perspectives du XXIIe siècle

Jean-Jacques Birgé (idiophones, objets, tp, cla, elec, fx) + invités

Label / Distribution : Musée Ethnographique de Genève

S’il est une chose que l’on ne peut reprocher à Jean-Jacques Birgé (JJB), c’est d’avoir de la suite dans les idées. En septembre 2018, il nous parlait de ses cent ans, en 2052. Deux ans après, on a pris un soudain coup de vieux : nous voici balancés en 2152, alors qu’une poignée d’humains se relèvent, ou plutôt ressortent de sous la terre, lavés des oripeaux malsains qui les avaient plongés dans les abysses : le capitalisme autophage et sa cohorte de désordres écologiques et sanitaires… Un tunnel dans lequel nous entrons de plain-pied et dont JJB pense la sortie avec un utopisme rien moins que béat ; il suffit pour s’en assurer d’écouter attentivement tous les méandres de « L’Indésir », que Nicolas Chedmail éclaire de sa trompette. Entre enregistrements de danses d’épées basques et luttes haoussas, on devine que le monde décrit dans ces Perspectives du XXIIe Siècle est un fruit mûr tombé à terre et que des mains affamées n’ont plus qu’à glaner.
 
Repartir de zéro, refaire société, embrasser le Monde. C’est l’hypothèse de JJB. Dans la petite cohorte de rescapés, il y a sa fille, Elsa Birgé, qui gambade en chantant sur les reliefs d’une géographie calcinée par la chaleur. Avec « MEG 2152 », il scelle un monde libéré de l’autophagie, celle du mythe grec d’Erysichton, que la faim insatiable et le besoin de posséder avait fini par tuer [1]. Le chant du cor, comme une aube, est rejoint par celui de la chanteuse ; ce sont les décors apaisants de l’Appenzell, pas les carcasses fumantes d’une ville éventrée, de celles qu’on voit dans la littérature post-apocalyptique. Plus loin, dans un « Gwerz de l’âme juste » très onirique, des chants populaires d’Europe (Bretagne, Roumanie, etc.) nous interpellent à travers le violon de Jean-François Vrod (La Soustraction des fleurs) et nous demandent où notre monde est tombé dans l’ornière, et s’il peut se relever. Il reste de l’espoir dans l’imaginaire fertile de JJB, et c’est peut-être pour cela que le Musée Ethnographique de Genève (MEG) lui a ouvert ses collections : tous les extraits, tous les idiophones que JJB utilise sont au musée. Dans cette période troublée ou les pires scénarios s’incarnent, il est galvanisant de se nourrir de fol espoir…
 
Jean-Jacques Birgé a fait une école de cinéma, l’image - et surtout l’image documentaire - a une importance cruciale dans son processus de narration. Dans ce disque très scénarisé qui raconte une histoire du futur pour mieux sonder notre réel contemporain, on pense à certains films de Jean Rouch, ou peut-être davantage Chris Marker pour son usage de la fiction. On suit les découvertes de ce groupe de refondateurs comme un puzzle très précis qui s’affranchit cependant de la linéarité. « Aksak Tripalium » par exemple est une pièce de transition où avec Antonin-Tri Hoang et Sylvain Lemêtre, JJB évoque, entre chants de travail des îles Hébrides et danses ouvrières macédoniennes, la joyeuse reconstruction. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » rappelle-t-il dans les notes de pochette. Une règle à ne jamais oublier : Perspectives du XXIIe siècle est une œuvre addictive et riche qui ne se lasse jamais de nous surprendre. C’est rare de prendre plaisir à se faire renvoyer dans ses XXII…