Chronique

Jean-Marc Foltz/Stéphan Oliva

Visions fugitives

Jean-Marc Foltz (cl) ; Stéphan Oliva (p)

Un nouveau label, « Vision Fugitive », un disque quasi éponyme, deux autres qui l’accompagnent (et seront également chroniqués dans ce colonnes). Voici comment en parle un des trois fondateurs, Jean-Marc Foltz : « Ce label est né de la pleine et entière initiative de mon ami Philippe Mouratoglou, excellent guitariste classique mais aussi musicien multi-compétent, polyvalent et grand amoureux de disques. Puis, ensemble, nous avons passé plusieurs années à rêver de ce label et l’avons imaginé à deux musiciens. Une fois la décision prise et le dispositif construit, nous avons eu l’envie d’emmener amicalement Philippe Ghielmetti dans l’aventure, dans l’idée de conjuguer nos motivations singulières et nos parcours personnels au service d’un label inédit réunissant différents angles de vues sur la (les) musique (s) et sur le disque, et voué à redonner au disque une certaine valeur et une parole malgré la conjoncture. Et nous avons continué à travailler ensemble pour donner vie à ce projet. C’est donc d’une histoire inédite qu’il s’agit, à écrire en »trio« d’amoureux de toutes les musiques et de disques. Dans cette réunion réside, précisément, une partie du sens que nous avons voulu donner à notre initiative. Dans notre équipe de production, chacun reste souverain et directeur artistique d’un disque par an, sur son projet ; ainsi, Mouratoglou a entièrement conçu le sien pour la naissance du label, Ghielmetti a proposé le sien, et j’ai, pour ma part, proposé à Stéphan Oliva dès le début que notre programme Visions Fugitives - auquel nous travaillions depuis plusieurs années déjà au fil de notre compagnonnage - puisse être l’opus 1 de ce nouveau label, auquel il a même fini par souffler le nom… que nous avons adopté spontanément pour le label, de concert avec Emmanuel Guibert, qui dessinera toutes nos pochettes… »

Les « Visions Fugitives » de Foltz et Oliva s’articulent sur des noms : Prokofiev bien sûr, auteur d’une oeuvre qui porte ce titre (Oliva en joue un extrait au tout début du disque), mais aussi Lutoslawski, Poulenc, Berg, Brahms dans le champ « classique », Coltrane par deux fois pour le « jazz », et les protagonistes de ce récital pour le reste. Composition et improvisation tendent aussi à effacer leurs délimitations, sans pour autant que les interprètes prennent d’autres libertés par rapport au « texte » que celle qui leur est due, précisément comme « interprètes ». Et là : anecdote.

J’écoute cet « Andante un poco adagio » de la sonate de Brahms, et j’ai le sentiment que, dès la première phrase, quelque chose est modifié par rapport à ce que j’ai en tête, par exemple la version de Daniel Barenboim (p) et Gervase de Peyer (cl). Je cherche à joindre l’un ou l’autre des interprètes au téléphone. C’est Stéphan Oliva qui me répond : « Non, rien n’est changé, nous n’avons ni ajouté ni retranché quoi que ce soit par rapport à la partition ». Je m’étais trompé, ou plutôt, c’est sans doute le son qui fait toute la différence. Je vérifie sur la version de Noël Lee (p) avec Guy Deplus (cl) : pas de doute. C’est le même texte, pas tout à fait la même musique. Drôle d’Unheimlich. En même temps, c’est tout à fait ça : le même n’est pas strictement le même, inquiétante familiarité…

On passe, mais tout est là, dans le son, dans l’approche, le phrasé. Liberté contrainte. Dans le cas de Coltrane, voire de Berg, sur lequel ils ajoutent des variations de leur cru, on prend plus facilement de la distance, puisque Naima et Lonnie’s Lament ont seulement des versions enregistrées, déjà marquées par l’invention. Quant aux oeuvres des deux auteurs de ce beau disque, ils en font ce qu’ils veulent, ça leur appartient. Je cite encore Stéphan Oliva au téléphone : « Brahms a écrit cette sonate vers la fin de sa vie, quand il jouait en duo avec un ami clarinettiste, et on peut supposer qu’ils se sentait tout à fait libre par rapport à ce qu’il avait écrit ».

Ai-je dit qu’on se délecte de la première à la dernière note de ce très beau récital ? Peut-être pas assez. Allez vérifier. Quant à l’objet lui-même, pas du tout fugitif, il est superbe.

par Philippe Méziat // Publié le 21 novembre 2012
P.-S. :

1 CD Vision Fugitive VFCD 313001