Chronique

Jean-Marie Machado Danzas & André Minvielle

La fête à Boby

Jean-Marie Machado (p), André Minvielle (voc), Jean-Charles Richard (saxes), Georgui Kornazov (tb), Joce Mienniel (fl), François Thuillier (tu), Didier Ithursarry (acc), François Merville (dms, perc), Jean-Marc Quillet (vib, perc, voc)

Label / Distribution : Bee Jazz

Quarante ans après la mort de Boby Lapointe, nombreux sont ceux qui considèrent ce poète lunaire comme un chanteur de centre aéré. Sa carrière fulgurante, qui ne nous a laissé qu’une cinquantaine de chansons loufoques, charrie pourtant son lot d’imaginaire dans le courant heurté des calembours et des allitérations. Pour lui rendre hommage, l’estimer enfin à sa juste valeur, il fallait un arrangeur capable de traduire à la fois la rythmique tortueuse de ses poésies faussement naïves et les fanfares efflanquées qui l’accompagnaient…

Après une Fiesta Nocturna qui baladait son allégresse sur les rives de la Méditerranée, c’est pour évoquer l’enfant de Pézenas que Jean-Marie Machado retrouve donc son ensemble Danzas. A ses côtés, point de guitare, fût-elle sommaire, mais des fidèles tel le batteur François Merville. Côté voix, c’est André Minvielle qui est invité à enfoncer le clou. Dès les premières syllabes de « Ta Katie t’a quitté » se révèle l’absolue précision rythmique du chanteur. Minvielle accélère et syncope le texte, joue avec comme un scat devenu signifiant. Sur le très beau « Papalà », il convoque même l’esprit de Boby dans un texte au groove insolent. Pour lui répondre, le tuba de François Thuillier, léger comme l’air dans « L’Hélicon », est l’allié idéal des contrechants goguenards du tromboniste Georgui Kornazov, de loin le plus en vue dans cet album.

La fête à Boby est une visite dans l’univers de Boby Lapointe qui cherche à percer le mystère de ce touche à tout foutraque, mathématicien méconnu et scaphandrier clandestin. Sur un morceau comme « Aubade à Lydie en Do », certainement l’un de ses textes les plus funambulesques, tout le talent de Machado consiste à conserver l’atmosphère simple de la chanson d’origine tout en laissant le champ libre au dialogue entre Minvielle et Jean-Charles Richard, dont le jeu est toujours aussi limpide. C’est « La fête à Boby », au milieu de l’album, qui dévoile le propos du pianiste : dans un florilège instrumental des morceaux emblématiques du chanteur, il mêle aux mélodies les vives couleurs de la musique populaire, telles les tarentelles de Joce Mienniel dans « Marcelle », ou le glissement imperceptible qui nous conduit vers l’univers de Tati lorsque le vibraphone de Jean-Marc Quillet apparaît au cœur de « Framboise ».

Il y aura deux façons d’aborder La fête à Boby. Quelques esprits chagrins regretteront une certaine tendance du jazz français (relire la chanson française « du patrimoine » pour s’attirer un public plus large). Les autres écouteront l’album. Aux premiers, nous conseillerons l’écoute attentive du très sensible « Petit homme qui vivait d’espoir ». A moins d’être de la caste de l’ami Zantrop, il fera apprécier cet album amusant qui réussit le tour de force de passer l’écueil du disque-à-musée. Comprend qui peut.