Chronique

JeanDo Bernard

Neil Young, Rock’n’Roll Rebel ?

Pas si simple de s’attaquer à un monstre sacré tel que Neil Young ! Le personnage est fascinant, complexe, généreux quoique plutôt taciturne ; le musicien est charismatique, habité par une inépuisable énergie qui le pousse depuis plus de quarante ans à remettre constamment sur le métier un ouvrage très personnel où les accords électriques et acoustiques de sa guitare tissent un univers teinté de folk, de blues et de rock.

Neil Young, une voie (voix) singulière à laquelle le journaliste JeanDo Bernard a déjà consacré une biographie [1] et qui l’a incité à publier chez Camion Blanc un deuxième livre dont la raison d’être est à chercher dans la publication d’un disque du Loner, Living With War (2006). Véritable charge anti-Bush à l’engagement politique virulent, et dénonciation lucide de la stupide guerre d’Irak que le Canadien aurait préféré voir venir d’un artiste plus jeune que lui. Ce que ce solitaire voit autour de lui l’effraie, et il semble être un des seuls à en parler de cette manière brutale et sans concession, prenant le risque d’encourir les foudres de l’Amérique conservatrice.

Neil Young, Rock’n’Roll Rebel ? est né de ce brûlot et son contenu a été enrichi de la lecture de Shakey, la biographie écrite par Jimmy McDonough. L’essai spontané au style incisif et sans détours de JeanDo Bernard se lit d’une traite et montre que l’auteur connaît bien son affaire. Il a pleinement vécu ces années, dont la période 1968-1975 fut d’une incroyable fécondité, comme le prouve le chapitre introductif. Ce rappel sociohistorique dresse le portrait de ces temps lointains – la France du général De Gaulle, des yé-yés, de la Guerre du Viêt-Nam, de toute un génération en quête d’un autre monde, y compris le recours à tout un arsenal de produits pour le moins stupéfiants – au beau milieu desquels va éclore le Loner, Mister Neil Young himself. Au titre des réserves formelles, on s’étonnera cependant du nombre inhabituel de coquilles et des quelques erreurs de traduction qui parsèment l’ouvrage - il aurait mérité une relecture plus attentive. Ainsi, JeanDo Bernard fait dire à un journaliste de la Fox : « Comment la population canadienne réagirait-elle si un artiste américain consacrait tout un album à dire au monde entier que le Canada est au mauvais endroit ? » quand il faut comprendre, tout simplement, que le Canada se trompe… Petites imperfections qu’on pardonnera volontiers à Bernard qui, sincère et attachant, connaît son Neil Young sur le bout des doigts, depuis The Squires jusqu’au récent Le Noise en collaboration avec le producteur Daniel Lanois, en passant par Buffalo Springfield et Crosby, Stills Nash & Young.

Mais ce passionné n’en a pas pour autant écrit un livre de fan hard core : il n’y a dans sa démarche aucune tentation hagiographique : bien au contraire, il s’efforce de décortiquer à travers une sélection de disques (nombreux, et dont l’analyse exhaustive aurait abouti à un catalogue fastidieux) les ressorts de ses engagements tant sur le plan politique que philosophique ou écologique, n’hésitant pas à pointer du doigt ses contradictions : une radicalité anti-Bush qu’on ne peut que mettre en parallèle avec une plus grande indulgence envers Ronald Reagan, par exemple. Le journaliste-écrivain nous propose un exercice d’admiration cultivée mais raisonnée et c’est là une des grandes forces du livre. Au fil des pages, on suit la démonstration de ce qui fait tout le pouvoir de séduction de Neil Young : malgré certaines errances, quel que soit le niveau de sa production (généralement très élevé, mais l’artiste a connu des moments de faiblesse, notamment durant les années quatre-vingt), l’histoire de Neil Young est un éternel recommencement. Pour lui comme pour nous. Il n’est jamais là où on l’attend : le succès d’un Harvest en 1972 aboutit à la sombre tournée Times Fades Away en 1973 ; un climat country ou folk sera balayé d’un revers de - légendaire - veste à franges par un disque hautement électrique ou une tentative technoïde, avant le retour aux sources, en solitaire ou flanqué de son groupe fétiche, Crazy Horse. Depuis plus de quarante ans, beaucoup d’entre nous sont prêts à embarquer avec lui, quitte à descendre temporairement du train si l’allure et les paysages visités ne nous conviennent pas, mais certains que le prochain voyage méritera le détour.

Neil Young fait partie de ces irremplaçables compagnons de vie, des êtres humains avec leurs forces et leurs failles, mais toujours au rendez-vous. Et d’une grande générosité doublée d’une force de conviction inoxydable. Neil Young, Rock’n’Roll Rebel ? nous l’explique avec la même sincérité : ce livre devrait séduire non seulement les fans de la première ou de la deuxième heure, mais aussi tous ceux qui voudraient faire la connaissance d’un personnage unique.

par Denis Desassis // Publié le 19 mars 2012

[1En remontant la rivière (Alternatives, 1997).