Chronique

John Hébert Trio

Floodstage

John Hébert (b), Benoît Delbecq (p), Gerald Cleaver (dms)

Label / Distribution : Clean Feed

Contrebassiste recherché de la galaxie new-yorkaise, où il côtoie Mary Halvorson, Taylor Ho Bynum ou encore Uri Caine, John Hébert signe avec Floodstage son troisième album en tant que leader. Habitué des formules en trio, il prolonge celle qu’il avait expérimentée pour Spiritual Lover, déjà pour le label Clean Feed, en compagnie du batteur Gerald Cleaver et du pianiste Benoît Delbecq.

Après avoir longtemps exploré ses racines proches de la Nouvelle-Orléans [1], notamment sur Byzantine Monkey, son premier album, il s’attache à explorer avec Floodstage toutes les facettes possibles de la cohésion de l’orchestre. Et au milieu coule une musique élégante et douce, dans un mouvement très égalitaire. Il y a de la tension, bien sûr, et ce dès « Cold Brewed », qui ouvre l’album dans un brouillard étrange. La contrebasse se mêle au piano et à son double électronique, soutenus par les cymbales de Cleaver qui explorent toujours plus avant la frontière impalpable entre silence et sobriété. Mais c’est une tension sans heurts, où chaque segment du triangle se déploie pour tendre vers le point le plus lumineux.

Serait-ce une allusion abstraite au Mississippi ? Le cours du fleuve ne semble jamais bien loin. Il surgit par vagues successives ou par projections soudaines dans le raffinement d’un propos très contemporain. Evidemment, il y a ce traditionnel « Just A Closer Walk With Thee » qui permet d’exposer un blues hâve et rocailleux. Mais c’est Benoît Delbecq qui l’évoque le plus directement dans le magnifique « Red House In Nola » [2] Ici, sur une ligne de basse empreinte de nostalgie, un piano matifié par les préparations s’épanche comme une pluie fine sur l’onde, tandis que les balais de Cleaver évoquent un débit permanent.

Le flot est au cœur de ce disque, véritable zone humide rapportée à l’improvisation. La nature même de l’enregistrement, réalisé par le fidèle Etienne Bultingaire, qui travaille depuis toujours avec Benoît Delbecq, y est pour beaucoup. Les vagues peuvent se présenter sous différentes formes et aller se perdre, soudainement apaisées, dans les lacets d’une rythmique complexe (« Loire Valley ») ou, au contraire, déferler en tumultueux remous (« Holy Trinity ») et submerger la masse de silence environnant, inexorables, pour la fertiliser dans la décrue à venir.

Car Floodstage, tout entier bâti sur le principe du flux et du reflux, débute sur une électronique onirique qui rappelle l’album précédent pour s’achever, lorsque le flot se retire sur une évocation d’évidentes racines africaines. Avec « Saints », le piano préparé de Delbecq devient un balafon mutant dont le timbre se confond avec les autres instruments, ramenés à leurs fonction percussive première. La vague de musique qui se retire découvre un limon déposé par la crue. Dans cette matière féconde se croise le souvenir de Paul Motian, Paul Bley ou Charlie Haden. En un mot, les musiciens qui ont marqué l’art du trio. La formation de John Hébert en fait résolument partie. Vivement la prochaine crue.

par Franpi Barriaux // Publié le 24 mars 2014

[1John Hébert est né à Baton Rouge, en Louisiane.

[2Le pianiste en propose une version résolument différente sur le récent album de Kartet.