Chronique

John McLaughlin

The Montreux Years

John McLaughlin (g), Bill Evans (sax), Danny Gottlieb (dms), Mitchel Forman (kb), Jonas Hellborg (elb), Paco De Lucia (g), Dennis Chambers (dms), Joey DeFrancesco (org), Otmaro Ruiz (kb), Victor Williams (perc), Gary Thomas (sax, fl), Matthew Garrison (b), Gary Husband (kb), Etienne M’Bappé (elb), Ranjit Barrot (dms).

Label / Distribution : BMG

Publié sous la forme d’un CD simple et d’un double vinyle (ce dernier comportant un titre supplémentaire), The Montreux Years se présente comme une sélection d’enregistrements effectuée par John McLaughlin lui-même. Le guitariste, qui vient de fêter ses 80 ans, était un ami de longue date de Claude Nobs, créateur du festival de Montreux en 1967, disparu en 2013. Une proximité qui lui a valu non seulement d’apprécier la raclette (c’est lui-même qui le rappelle dans les liner notes du disque), mais aussi et surtout de monter régulièrement sur scène à Montreux. Pour réaliser ce disque, qui n’est qu’un aperçu de cette longue histoire, McLaughlin a choisi de plonger dans les archives de ce rendez-vous d’envergure mondiale où se mêlent jazz, rock, soul, folk et qui aura vu défiler les plus grands… Une véritable caverne d’Ali Baba qui fait par ailleurs l’objet d’une Fondation destinée à la conservation et la valorisation d’un patrimoine unique. Soit une collection de plus de 5000 enregistrements de concerts, désormais inscrite au programme « Mémoire du Monde » sous l’égide de l’Unesco.

Ici, le voyage dans le temps couvre la période allant de 1984 à 2016 [1], avec un parti pris consistant à ne pas respecter l’ordre chronologique, mais plutôt à effectuer différents allers-retours dans le temps. John McLaughlin met en avant cinq formations, à commencer par le Mahavishnu Orchestra dans son ultime mouture [2], certes pas la plus intéressante dans l’histoire du groupe, mais ici en bonne forme du fait de la présence assez déterminante de Bill Evans (le saxophoniste, ancien compagnon de route de Miles Davis) qui frotte ses anches à la guitare synthétiseur du patron. Les deux compositions choisies (« Radio Activity » et « Nostalgia ») sont issues de l’album Mahavishnu qui venait de paraître. Trois ans plus tard, John McLaughlin retrouvait sur les bords du Lac Léman un autre compagnon de route, son ami Paco De Lucía : le duo est ici deux fois au programme [3], avec notamment une magnifique version de « Florianapolis », dont on connaissait une interprétation en trio de 1990, avec Trilok Gurtu et Kai Eckhardt, sur l’album Live At The Royal Festival Hall. Le même Paco De Lucía fera l’objet d’un hommage de la part de McLaughlin à travers une composition, « El Hombre Que Sabía » ici interprétée par le groupe 4th Dimension en 2016 en conclusion de ce « best of » à la réalisation très soignée. Les deux autres périodes choisies sont 1988 avec The Heart Of Things et 1995 avec The Free Spirits, deux formations ayant en commun le batteur Dennis Chambers.

Un menu copieux, au bout du compte, et sans doute une excellente porte d’entrée pour celles ou ceux qui souhaiteraient découvrir l’univers de ce musicien hors du commun. Les autres auront bien sûr plaisir à ajouter cette pièce à leur collection. Car avec The Montreux Years, c’est toute la lumière intérieure émanant de la musique de John McLaughlin qui est mise en évidence. On a souvent reproché au guitariste une course à la vitesse synonyme de froideur. C’est un parfait contresens. Il faut au contraire entendre dans sa musique un élan, puissant et profondément humain, dont les accents sont parfois mystiques, mis au service d’une recherche du Beau qui suscite l’admiration et un réel émerveillement. Celui-là même qui éclaire un chemin tracé depuis les années 60 (aux côtés d’Alexis Korner, Brian Auger, Tony Williams et Miles Davis) avant de multiples aventures en tant que leader. Cinquante-trois ans séparent en effet la publication d’Extrapolation en 1969 et celle de The Montreux Years aujourd’hui. On n’a pas vu le temps passer…

par Denis Desassis // Publié le 6 mars 2022
P.-S. :

[1Cette période va en réalité de 1978 à 2016 pour ce qui concerne le vinyle qui inclut « Friendship » interprété avec le One Truth Band. On peut déplorer ce choix et par conséquent l’absence de cette année sur le CD.

[2Ce groupe, fer de lance du jazz rock post-Davisien avec Weather Report et Return To Forever, est né au début des années 70, après la collaboration de John McLaughlin avec Miles Davis. Son histoire se décompose en différentes périodes dont les plus passionnantes sont les deux premières, qui ont laissé derrière elles six albums entre 1971 et 1975 : The Inner Mounting Flame, Birds Of Fire, Between Nothingness And Eternity, The Lost Trident Sessions, Apocalypse, Visions Of The Emerald Beyond. On signalera que le « grand répertoire » de ce Mahavishnu-là a récemment été mis en lumière à l’occasion d’un concert donné en décembre 2017 par une double formation composée du 4th Dimension de John McLaughlin et The Invisible Whip du guitariste Jimmy Herring. Cette soirée a fait l’objet d’un Live In San Francisco paru en 2018 chez Abstract Logix, dont l’écoute est fortement recommandée.

[3Ce concert de 1987 ayant fait l’objet d’un disque, Paco And John Live At Montreux 1987, paru en 2016 chez earMUSIC.