Chronique

John Scofield

Swallow Tales

John Scofield (g), Steve Swallow (elb), Bill Stewart (dms).

Label / Distribution : ECM

John Scofield rend hommage à Steve Swallow en s’emparant des compositions de son ami bassiste et l’on est tenté de qualifier Swallow Tales de leçon de jazz. Mais surtout pas au sens un peu moralisateur où trois musiciens nous « feraient la leçon » : plutôt parce qu’il s’agit pour eux de s’exprimer dans le langage à la fois savant et accessible qu’ils ont forgé au fil des décennies. Et d’engager une conversation entre gentlemen qui n’ont sans doute rien à prouver désormais, mais brûlent à l’évidence d’un désir ardent de partage et d’interplay. Leur expérience commune est le gage d’une fraîcheur qu’on ne peut que saluer.

Le guitariste, véritablement propulsé sur le devant de la scène jazz rock voire funk par Miles Davis au début des années 80, a côtoyé Steve Swallow il y a bien longtemps maintenant du côté de Berklee, quand il n’avait que 20 ans. Il n’a jamais perdu de vue le bassiste – qui a entre temps troqué sa contrebasse contre une basse électrique – et l’avait même enrôlé dans son premier trio avec Adam Nussbaum. Scofield a su, au fil du temps, élaborer une sonorité et un style fortement imprégnés de blues et de rock par lesquels on l’identifie assez aisément. Quant à la batterie gorgée de swing mélodique de Bill Stewart, elle fait chanter peaux et cymbales aux côtés du guitariste depuis les années 90. Les voilà à nouveau réunis, pour la plus belle des raisons, un histoire d’amitié et de passion pour une musique habitée par le chant d’un musicien aujourd’hui octogénaire et qui aura écrit une des plus belles pages de l’histoire du jazz. Swing, souplesse et distinction naturelle. Aux dires de John Scofield, les compositions de Swallow « sont des véhicules parfaits pour l’improvisation. Ce ne sont jamais des exercices purement intellectuels, elles possèdent une vraie force mélodique ».

Même s’il a déjà fréquenté le label munichois aux côtés d’autres musiciens, Marc Johnson par exemple, c’est la première fois que le guitariste enregistre sur ECM pour son propre compte. Une entrée tout en élégance, assez éloignée finalement de sa marque de fabrique souvent incisive et rageuse, et marquée ici par la verve mélodique des compositions de Swallow. Un répertoire magnifié par la quasi-télépathie entre ces trois acteurs : on n’ose pas parler d’évidence, mais on ressent chez eux tant de complicité que leur entente paraît aller de soi alors qu’on sait très bien le caractère très exigeant d’une telle association. Nous sommes les témoins privilégiés d’un « moment » capté en une seule journée au mois de mars 2019, dans une forme d’urgence de l’exultation. Les cordes de Scofield et Swallow s’entrecroisent, chantent ensemble, stimulées par les sollicitations constantes de la batterie. Ils sont trois, ils ne font qu’un et trouvent dans la vivacité de leur dialogue le moyen de conjuguer le passé de compositions souvent anciennes (comme « Eiderdown », la première composée par le bassiste) avec le présent qui, lui, chamboule tout à chaque instant et garde sa part d’imprévisible.

Swallow Tales, disque libre et sans entraves, porte finalement bien son titre qu’on peut comprendre aussi comme « les contes de l’hirondelle ». Il y a en effet comme un printemps sous-jacent dans ce jazz-là, qui semble en pleine éclosion. Puisse-t-il par ailleurs être annonciateur d’un monde plus apaisé…