Chronique

Joseph Reinhardt

Joue Django

Label / Distribution : Label Ouest

Pour fêter le centenaire de la naissance de Django, une production pléthorique a vu le jour, d’autant que le jazz manouche rencontre un beau succès populaire. Mais on s’ennuie souvent à l’écoute des assauts de virtuosité de ses disciples. Avec cet album de rééditions sur le label Ouest dans la série Gipsy Jazz Memory, dont il inaugure le premier volume, on peut (re)découvrir le talent du frère de Django, Joseph « Nin Nin » Reinhardt.

Il n’est pas trop tard pour réparer cette injustice. Car, outre le fait qu’il accompagna fidèlement Django dans ses aventures, en particulier avec le quintette du Hot Club de France, il enregistra parallèlement avec le trompettiste Bill Coleman, contribua au succès de l’accordéon jazz avec Gus Viseur et participa aux formations d’Alix Combelle ou d’Hubert Rostaing (ce clarinettiste fut l’un des plus fidèles compagnons de Django en transcrivant ses idées).

« Nin Nin » avait une personnalité originale, ce dont témoignent les compositions telles que « Bric-à-brac ». D’ailleurs, Alain Antoniotti affirme que Joseph fut même l’auteur de mélodies qui devinrent des succès de Django, comme « Mélodie au crépuscule », cas curieux de transmission télépathique. Patrick Williams, l’autre spécialiste de Django, évoque une « extrapolation prémonitoire » : Joseph aurait « inventé un thème d’après la mélodie sur laquelle, quelques mois plus tard, Django allait improviser » (« ils étaient frères, non ? »).

Les huit premières plages célèbrent Django via des titres joués par le quintet de Joseph, qui comprenait le violoniste Pierre Ramonet, Jean Maille et Paul Mayeur aux guitares rythmiques - qui « sonnent comme des balais », la basse étant tenue par Pierre Sim ; il s’agit d’arrangements des « tubes » « Nuages », « Manoir de mes rêves », « Bric Top », « Djangology ».

A l’époque, le critique de jazz Claude-Michel Jalard écrivait de ce 33-tours 25 cm [1] : « Le souvenir de Django apporte par moment une nuance de délicate mélancolie typiquement manouche. Mais l’ensemble de Joseph Reinhardt sonne différemment du quintette du HCF ». L’interprétation est, en effet, différente, même si l’exécution a quelque chose de la « Reinhardt touch » : voilà des variations réussies et troublantes, car si ce n’est pas Django, il y a quelque chose de lui, indéniablement. Sans oublier une vraie simplicité dans ces puissantes attaques, et une belle sonorité… « Nin Nin » collectionnait les disques de guitaristes, surtout américains, et faisait écouter à Django Tal Farlow, Barney Kessel et surtout, son préféré, Wes Montgomery, qui a « une lumière dans le pouce » disait-il. Il s’efforçait de jouer dans ce style qui convenait à son refus de tout effet spectaculaire.

Pierre Ramonet a un charme fou au violon (écoutez « Triste mélodie » ou « I Know That You Know », compositions de Joseph qui soulignent encore le caractère mélancolique de sa personnalité réservée). Notons aussi une jolie version du « Sweet Sue » immortalisé par Bix Beiderbecke et l’orchestre de Paul « Potato Head » Whiteman, avec une courte citation finale de la « Rhapsody in Blue » de Gershwin.

On peut encore réécouter Joseph avec le Stéphane Grapelli’s Hot Four, à savoir Emmanuel Soudieux à la contrebasse et Roger Chaput à la guitare d’accompagnement, sur ce « Oui, pour vous revoir », enregistré en octobre 47, qui swingue avec vigueur. Autre intérêt, un enregistrement de 1959 sur un 45-tours Decca de la chanson que nous ne connaissions que dans la version postérieure d’Yves Montand, extraite du film de François Gir Mon pote le gitan en 1959.

Ce n’est donc que justice de louer les vertus musicales du frère de Django, et de le remettre dans la lumière, lui qui se tint toujours aux côtés de son génial aîné, attentif et réservé.

par Sophie Chambon // Publié le 4 octobre 2010

[1Les Discophiles français, 1958, soit 5 ans après la mort de Django, (premier album du catalogue jazz de la série « Divertissements »).