Entretien

Journal Intime, le temps du jeu

Rencontre avec le trio augmenté le plus cuivré du moment.

Journal Intime © Christophe Charpenel

Le trio Journal Intime, réunion de soufflants qui occupe une place à part depuis plus de quinze ans, revient régulièrement nous chatouiller les oreilles. Membres à part entière d’orchestres, comme celui de la Grande Campagnie des Musiques à Ouïr de Denis Charolles, Journal Intime est de ces groupes qui savent mettre le feu aux poudres. Qu’ils jouent avec Marc Ducret ou avec Jacques Higelin, Sylvain Bardiau, Matthias Mahler et Frédéric Gastard savent toujours donner une énergie rock à leur musique. À ce titre, la rencontre avec le batteur de Papanosh Jérémie Piazza et le jouissif Playtime était inéluctable, tant la puissance est présente chez le Normand. Rencontre avec un trio insatiable.

- On a le sentiment que Journal Intime est un grand terrain de jeu, est-ce que c’est le plaisir qui vous guide ?

Exactement ! Nous sommes des enfants bloqués dans une boucle temporelle, au milieu d’une infinie cour de récréation. On s’invente des histoires, on se raconte des vies futures faites de sons inédits, pleines de joyeuses orchestrations, on imagine toutes sortes de poésies pour les oreilles. Les envies, les désirs de musiques et de rencontres, toutes les folies sont accueillies sans réserve, ce sont le temps et les contraintes qui vont filtrer les projets. Ainsi, quand une forme se réalise enfin et qu’on rentre en action, nous sommes toujours dans le plaisir ludique.

- Comment s’est créé le groupe Journal Intime ?

Le trio Journal Intime s’est formé autour d’une envie commune de travailler librement, sans contrainte logistique (la vie est si facile avec juste trois cuivres !), et dans la même énergie de soufflants. C’est vraiment parti d’un plaisir de musicien dans le sens technicien : on cherchait à la fois un défi et une évidence. Le défi technique de tenir un répertoire à trois soufflants (aucune résonance, chaque son est alimenté, soutenu), et l’évidence de faire ça ensemble (on se connaissait par d’autres formations). On s’est donc réunis en 2006 dans une cave, pour faire du son, essayer des écritures, et c’était une évidence, dans la méthode de travail (l’héritage de nos parcours classiques) et dans la satisfaction des efforts accomplis. Nous sommes restés des mois à travailler ainsi, sachant qu’il nous faudrait passer beaucoup de temps, d’années avant d’arriver à faire ce que nous avions en tête. Nous sommes toujours au début de l’aventure !

Frédéric Gastard

- L’instrumentarium de l’orchestre est tourné vers le rock ; quelles sont vos influences ? Comment, par exemple, travaille-t-on la musique de Jimi Hendrix avec vos instruments ?

Pour ce projet nous avons ouvert beaucoup de pistes de travail pour nourrir le trio. Travail du son des cuivres dans les extrêmes des instruments, les pousser dans leurs retranchements, à la façon d’un Hendrix qui défriche la guitare électrique. Transposer l’exploration psychédélique des matières sonores à notre contexte acoustique. Gros travail sur le rythme, le groove, sans batterie. Travail sur la distorsion du son toujours acoustique, sans électricité. On a cherché à respecter l’esprit de Jimi Hendrix et de cette période du rock libre dans ses formes plutôt que d’essayer de reproduire textuellement les sons de l’époque. Plusieurs rencontres sont déterminantes sur ce disque : tout d’abord Marc Ducret, guitariste de génie lui aussi. Nous avons eu la chance de faire le premier concert de Journal Intime sous son parrainage. C’est un immense artiste que nous admirons depuis longtemps… Autre rencontre importante : Rodolphe Burger. Nous l’avons croisé auprès de Jacques Higelin, dans son studio des Vosges. C’était à la fois un contrepied de lui demander de jouer de la guitare et de chanter sur ce projet, tant son timbre de voix et son jeu de guitare diffèrent de la virtuosité d’Hendrix. Cependant nous avons senti qu’il était complètement dans l’esprit de recherche qui nous anime, et son respect du matériau original est immense.

- Comment s’est passé cette envie d’un disque avec Jérémie Piazza ?

C’est vraiment issu d’une tournée - épique - en Finlande et dans les pays baltes, organisée par Charles Gil début 2020. Nous sommes partis trois semaines pour jouer en co-plateau le solo de Jérémie Piazza et le répertoire sur les standards par Journal Intime. Dès le premier soir nous avons joué en quartet, instinctivement, comme une évidence. Et on a fait toute la tournée ainsi, sans jamais entendre une seconde de ce mystérieux solo de batterie ! Nous sommes rentrés en urgence de cette tournée, la veille du Grand Confinement, dans un geste tellement cinématographique : « Donnez-nous le premier vol pour Paris », épique on vous dit ! Au retour nous avions une folle envie de fixer cette énergie, cette complicité acquise après une trentaine de concerts effectués en une vingtaine de jours - on exagère à peine…

Marc Ducret invite Journal Intime

- Vous avez déjà tous joué avec Jérémie dans Cartoons du Sacre du Tympan, certains d’entre vous sont des piliers du groupe de Fred Pallem. Pouvez-vous nous parler de votre relation à cet orchestre ?

Frédéric Gastard et Matthias Mahler faisaient partie de la première mouture du Sacre du Tympan en 1998. Ils sont sur le premier disque Fred Pallem and Friendz : Le Sacre du Tympan sorti en 2002. C’est en 2012 que Journal Intime intègre le Sacre en tant que section cuivre unique sur le répertoire de Neil Young : Neil Young Never Sleeps, auprès de Rodolphe Burger encore, Vic Moan, Juliette Paquereau et Guillaume Magne entre autres. Nous avons continué ainsi sur le programme Soul Cinéma, enregistré sur bande magnétique au cours d’une séance à l’ancienne… Puis ce fut l’aventure Cartoons, suivi de Cartoons 2 Le Retour avec Jérémie Piazza à la batterie. C’est un orchestre cher à nos cœurs, on y croise pleins d’amitiés depuis plus de vingt ans. Fred Pallem a une proposition musicale très personnelle qui nous réjouit à chaque fois, et nous nous comprenons tellement sur les sons qu’il recherche, c’est très simple de travailler avec lui. C’est le genre d’aventure à laquelle on est lié pour la vie !

- Vous avez travaillé avec de nombreuses figures de la musique, comme Jacques Higelin ou Rodolphe Burger, comment approche-t-on ce travail de « backing band » de luxe ?

C’est d’abord un plaisir évident de nous retrouver en section cuivre chez un artiste comme Jacques Higelin. Il a fait appel à nous pour notre particularité de groupe, de trio, mais aussi pour notre efficacité de section. On a cultivé ce double langage depuis toujours, on faisait déjà de la section cuivre pour des chanteuses et des chanteurs bien avant de créer Journal Intime. Le côté backing band de luxe, comme vous dites, est venu naturellement, en travaillant les particularités de Journal Intime. Et c’est toujours une joie pour nous de revenir à ce travail de section : encore une fois on a une approche ludique de tout ça. Et puis on rencontre de nouvelles personnes, c’est toujours chouette ! Récemment on vient de faire une section pour le chanteur de Foals, Yannis Philippakis, sous la direction de Vincent Taeger, super rencontre et super musique !

Sylvain Bardiau

- Quelle est l’histoire de Playtime ? Qu’est-ce qu’évoque Jacques Tati dans votre musique ?

Playtime c’est la récréation, le lieu de l’insouciance et de l’inconséquence que nous avons tous expérimentées dans notre enfance. Nommer ainsi le projet de quartet avec Jérémie Piazza, c’était en quelque sorte une profession de foi, une note d’intention qui tient en un mot. Jacques Tati l’avait utilisé ainsi en son temps, il nous semble, comme une invitation à communier dans la joie autour de nos folies, sans obligeance mais toujours avec bienveillance. Et dans la bande son du film Playtime, il y a ce passage complètement fou, cette impro à l’orgue de James Campbell, acteur-danseur-musicien sénégalais, qui illustre tellement bien cette ambiance de fin du monde dans le restaurant où tout s’écroule et où l’on danse follement jusqu’au bout de la nuit. Ça raconte quelque chose de notre époque…

Journal Intime et Jérémie Piazza (D.R)

- Quels sont vos projets ?

On a bien quelques projets en cours qu’on veut faire tourner. Tout d’abord on veut monter un nouveau répertoire avec le quartet Playtime, repartir en tournée, on est au tout début de l’aventure. On développe aussi les concerts totalement improvisés, c’est toujours vertigineux mais tellement grisant. On a beaucoup travaillé sur l’impro libre récemment, notamment pour notre blog. Ça aussi c’est un projet né pendant la Covid et que nous continuons actuellement, un pari fou : mettre en ligne gratuitement chaque semaine un titre inédit. On en est à près de 70 titres actuellement, c’est un travail de titan mais c’est surtout un espace de liberté absolu, et un nouveau lien avec notre public. Allez-y, pour vous faire une idée !

Journal Intime © Christophe Charpenel

Dans les programmes en cours il y a aussi un spectacle familial autour de la musique du Livre de la Jungle de Disney. On est sur scène avec un danseur-circassien et un performeur-batteur, des décors et plein d’énergie ! Ça tourne un peu partout en France et c’est une production déléguée Banlieues Bleues. Dans les tuyaux également, un quartet avec le percussionniste Fabe Beaurel Bambi rencontré au Congo, très dansant et festif, un disque à venir… Et une création avec le Gangbé Brass Band, portée par Fabienne Bidou et l’Institut Français du Bénin : c’est un travail épique commencé début 2022, qui devrait voir le jour fin 2023 à Cotonou, et qui va emmener ce Gangbé Intime dans des directions encore inexplorées par le trio !