L’un des maîtres du flamenco hexagonal, originaire de la région lyonnaise, s’empare de la figure de Zyriab, un humaniste arabe (poète, musicien, géographe…) du IXème siècle qui voyagea entre Moyen-Orient et Al-Andalus, nourrissant ses créations des diverses cultures dans lesquelles il s’immergeait. Pour un peu, on croirait écouter la bande-son d’un prequel du film de Youssef Chahine, « Le Destin », qui plongeait le spectateur dans les combats d’Averroès pour que la Raison advienne (contre les islamistes radicaux notamment) au temps de la Cordoue « musulmane ».
Le feu andalou crépite, avec force jaleo, cante jondo, palmas, mais aussi oud, darbouka, chant arabo-andalou et trompette quart de ton pour le côté oriental… et bien évidemment guitare sublime : Juan Carmona a appris auprès des grands maîtres de Jerez. Pour autant, il sait bien que, dans le jazz, on peut trouver des raisons de voyager également : n’a-t-il pas croisé ses cordes avec Sylvain Luc, Marcus Miller et autres Jan Garbarek ? Aussi ses compositions empruntent-elles parfois des formes de standards, et l’on se doute que certains passages peuvent se prêter à d’intenses improvisations et autres joutes entre les membres de l’orchestre lors de leur concrétisation live.
L’on se doit de signaler que ce disque a reçu un prix de l’UNESCO et qu’il a été produit par Nomad Kultur, un label issu d’un collectif d’artistes et d’une pépinière musicale liés à l’origine à la MJC d’Aubagne, dans la banlieue de Marseille (une MJC expulsée de ses locaux par la municipalité conservatrice au pouvoir depuis bientôt dix ans). Le disque de ce Maître Gitan est comme un acte de persistance de l’esprit des cultures populaires qui, jadis, irriguait cette ville moyenne et qui, désormais, ruisselle dans le monde (au moins méditerranéen). En proposant un recueil d’hymnes flamboyants aux éternelles migrations, Juan Carmona conforte notre foi en une humanité plurielle et mouvante.