Chronique

Kaze & Ikue Mori

Sand Storm

Satoko Fujii (p), Natsuki Tamura (tp), Christian Pruvost (tp, bugle), Peter Orins (dm), Ikue Mori (laptop)

Label / Distribution : Circum Disc

Kaze est un quartette franco-japonais réunissant Satoko Fujii, Natsuki Tamura, Christian Pruvost et Peter Orins.

Il s’est formé il y a déjà dix ans et compte de belles réussites, comme Atody Man. Pour cet album, il invite une figure du laptop, Ikue Mori, après seulement quelques concerts dans une Europe en pleine pandémie. Les musiciens soulignent la difficulté a priori d’intégrer quelqu’un au sein d’un groupe ayant déjà une longue pratique commune, pour mieux souligner la parfaite intégration d’Ikue Mori. Mais ce groupe a déjà invité d’autres créateurs, en particulier Sophie Agnel et Didier Lasserre pour un superbe album, Trouble Kaze.

L’album s’ouvre sur « Rivodoza », d’une manière impressionnante sur ladite tempête de sable, toute de violentes rafales, de granulations fines, de stridences, nous installant dans un ailleurs surprenant. Un festival de sonorités, dues en particulier à l’étonnant jeu de Christian Pruvost et aux baguettes folles de Peter Orins. L’électronique d’Ikue Mori y prend toute sa part, mais lorsque des mouettes lancent leurs cris, elles sortent du pavillon de la trompette de Natsuki Tamura. Satoko Fujii plaque des accords lourds, pour annoncer le thème, au bout de plus de huit minutes ! Un segment mélodique emphatique, comme fracassé, brouillé, en forme de pied-de-nez à ce qui précède.
La métaphore de la tempête continue d’être filée dans « Poco A Poco » dans des grondements de piano, des tourbillons sourds d’une trompette, des claquements de langue sur l’autre, des grattements sur les peaux, des bourdonnements et grésillements électriques.

Jusqu’alors, Ikue Mori s’est ingéniée à se fondre dans le feu d’artifice sonore du groupe, mais c’est elle qui ouvre « Kappa », lui donnant cette atmosphère diaphane, poétique, délicieusement accompagnée par l’inventivité de Peter Orins, et finalement de tout le groupe. Des pépiements métalliques, des vrilles d’oiseaux de forêts équatoriales, des ruissellements, puis les trompettes, enfin le seul Tamura. Il nous offre un festival facétieux fait des sons les plus étranges, où la voix s’insinue, laisse deviner de vagues soupçons de la tradition jazzy. Une pure merveille amusée. Peter Orins prend le relais en frappes subtiles, fébriles ou saccadées, puis tout le groupe pour un unisson, après dix minutes d’improvisation tout de même. Cette dernière revient avec un Christian Pruvost fouillant les tréfonds du bugle, y mêlant sa voix, expulsant des vrilles puissantes. Des gouttes distillées au clavier, des grésillements doux ramènent un temps l’ambiance poétique du début, mais la folie collective submerge.
L’un des moments forts de cet album.
Mais il en est d’autres !

Cet album fourmille, en effet, de pépites sonores, de cristaux poétiques, d’échos d’ailleurs, de résonances affectives, de trouvailles surprenantes. Les quatre de Kaze ont su mettre au point un son qui leur est propre, une musique qui se réinvente d’album en album, piquante, l’humour en coin. Elle largue les amarres mélodiques ou rythmiques, ceci sans nous perdre en route : les amants de toujours du jazz ne seront pas jetés aux orties. Et Ikue Mori a su s’y fondre, naturellement, sans esbroufe ni effacement.

par Guy Sitruk // Publié le 1er novembre 2020
P.-S. :