Chronique

Ken Berman

Sound Poetry

Ken Berman (p), Kai Eckhardt (elb), Akira Tana (dm)

Label / Distribution : MMGMusic

Le pianiste Ken Berman cultive l’élégance avec une discrétion qui rend sa musique plus remarquable encore. Constamment en quête de lyrisme, elle caresse les sens sans sombrer dans la facilité. Pour preuve, la belle version du standard « Lush Life », qui ouvre l’album. Mais voyons plus loin. Car c’est entre deux classiques (cette dernière et la reprise de « Someone To Watch Over Me » de Gershwin, qui clôt l’album) que l’Américain propose son répertoire inédit.

Moins romantique et moins dramatique qu’un Keith Jarrett, à qui certaines mélodies et attaques font tout de même penser, moins pop que Brad Meldhau, Ken Berman a en commun avec ces solistes flamboyants de s’être émancipé du sacro saint Berklee College of Music, pour travailler sa patte. Elle reste certes studieuse, mais elle fait des étincelles. Et il ne s’agit pas des feux de Bengale d’un prodige ampoulé.

Car de lumière, les compositions de ce Sound Poetry n’en manquent pas. Il s’agit d’un album inspiré, dont les phrases mélodiques restent en tête. Le projet était sur les rails depuis longtemps, porté par le pianiste et son ami poète Eythan Klamka, mort en 2011 et à qui le disque est dédié. Tous deux avaient élaboré ces morceaux en réponse à des textes de Bob Dylan (le titre « Old Dylan » en est un rescapé), d’Allen Ginsberg ou encore de Langston Hughes. Ils n’ont pu le terminer ensemble.

Pourtant, même sans les mots, aidé par Kai Eckhardt à la basse électrique et le délicat batteur Akira Tana, le pianiste creuse son sillon et séduit, avec poésie et sans snobisme. Les rythmes doux et essentiels donnent à certains titres des couleurs fauves. « Diane », par exemple, est un portrait dressé par un peintre qui ne place aucune touche au hasard.

A une avant-garde parfois tourmentée, Berman préfère la joie qui irrigue Sound Poetry d’un allant communicatif. Il est bon d’entendre un jazz de facture somme toute classique sonner aussi vivant à nos oreilles. L’interprétation carrée est contrebalancée par cette façon de se positionner en oblique, comme avec une tête d’avance. On l’entend sur l’intense « Old Style Tune », ce qui prime ici est l’allure. Cette vitalité honore donc finalement le poète, qui avait formulé avant de mourir « Any good musician should be a Sound Poet  » (« Tout bon musicien devrait être un poète des sons »).