Tribune

L’exemplaire Quincy Jones

Quincy Jones (1933-2024) aura marqué l’histoire musicale de son empreinte


Quincy Jones c’est une histoire exemplaire, le rêve américain en version d’Épinal. Parti du ruisseau pour se hisser jusqu’aux sommets de la notoriété – une petite fortune amassée au passage – en ayant côtoyé le meilleur monde de la musique.

Une ascension par la grâce de l’amour de la musique donc, qui le lui a bien rendu, malgré un faux départ qui avait tout d’un train – un bus en l’occurrence – manqué pour toujours.

Du haut de ses treize ans qu’il avait fait passer pour quinze, Quincy Jones tente et réussit une audition pour accompagner en tournée l’orchestre de Lionel Hampton. Mais Gladys, l’épouse du leader, tique devant l’âge du trompettiste et le renvoie du bus juste avant le départ en tournée. Heureusement pour lui, il avait suffisamment tapé dans l’œil d’une chanteuse du groupe pour que celle-ci lui obtienne une deuxième occasion, une fois l’âge requis, avec succès cette fois.

De ce premier pied dans la porte qui ne s’est pour lui jamais refermée, la carrière que l’on sait, maintes et maintes fois contée avec sa liste de collaborations aux noms plus prestigieux les uns que les autres. Carrière qu’on ne retracera pas ici, d’autres l’ayant déjà fait ces derniers jours, nous contentant de suggérer d’aller voir du côté des mémoires du Monsieur, Quincy par Quincy Jones, livre de notre point de vue essentiel pour toute personne s’intéressant un peu à la musique populaire du siècle précédent.

Penchons-nous davantage sur la place spécifique de ce musicien taille patron, passé, brillamment, par peu ou prou toutes les étapes de la fabrication musicale (instrumentiste, arrangeur, compositeur de musiques de film, producteur).

Il ne fait peut-être pas partie des compositeurs de tout premier plan en termes d’importance historique. Même si, même si, entre autres exemples, l’ascension légère envoûtante et irrésistible de « For Lena and Lennie » en a fait un standard parmi les plus précieux du répertoire jazzistique. Même si les audaces rythmiques et harmoniques de sa partition pour le film In Cold Blood en 1967, convoquant le jazz, l’Amérique du sud et l’école de Vienne, ne sont pas à la portée (sic) de la plupart des pondeurs de scores.

Ce ne fut peut-être pas non plus un arrangeur de la stature d’un Nelson Riddle ou d’un Claus Ogerman. Même si, même si la danse des cordes autour du chant de Sarah Vaughan sur son album Vaughan and Violins, ou les broderies instrumentales cousues sur l’orgue du « Dream a Little Dream of Me » du Ella and Basie suggèrent qu’il ne doit pas en être si loin.

Il a traversé plusieurs époques sans en être vraiment l’incarnation, même si son « Soul Bossa Nova » figure parmi les plus gros tubes de la période jazz samba ou si Body Heat a sa place dans tout Panthéon des albums jazz funk qui se respecte.
Au fond, le génie de Quincy Jones fut sans doute justement de pouvoir être tout cela à la fois.

Ce fut aussi d’être devenu ce producteur qui, connaissant tout le monde, dispose d’une puissance d’agir au service d’une oreille exceptionnelle, sachant toujours qui sonnera le mieux avec qui. Un carnet d’adresses devenu une palette gigantesque à la disposition d’un coloriste majuscule et qui a fait que tant de morceaux (de « Fly Me to the Moon » à « Billie Jean » pour piocher dans les plus largement connus) lui doivent leur immortalité. Il n’est pas certain que réémerge de sitôt un personnage d’une telle stature ; le vide laissé est palpable.