Chronique

LED

The Ocean

Nils Janson (tp), Thomas Backman (as, cl), Mats Äleklint (tb), Alberto Pinton (bs, fl), Per-Ake Holmlander (tuba), Peter Danemo (dms, arr).

Label / Distribution : Kopasetic

Belle démonstration de la vitalité de la scène jazz suédoise ! Mais LED nous permet surtout de découvrir un batteur arrangeur qui n’hésite pas, comme beaucoup d’autres musiciens désormais, à instiller dans sa musique - d’essence jazz - la part de rock qu’elle mérite. Ou plutôt, si on l’en croit, pour avoir grandi avec une oreille jazz et une oreille rock il estime avoir « bouclé la boucle » avec The Ocean, un album qu’il publie aujourd’hui sur le label indépendant Kopasetic Productions dans une formation dont on comprendra très vite pourquoi il a choisi de la baptiser ainsi.

Résumons l’histoire : à quinze ans Peter Danemo découvre Led Zeppelin avec l’album Physical Graffiti [1] ; le choc est tel qu’il remonte le temps pour écouter inlassablement les autres disques du groupe, et s’en nourrit de manière très approfondie.
Puis le temps passe, et à la faveur d’un déménagement Danemo retrouve dans ses cartons ces albums délaissés depuis longtemps. Trente années de quasi-abstinence et un constat : toujours le même attrait pour Led Zeppelin par-delà le temps ! Les live lui prouvent que c’était aussi une formidable machine à improviser et expérimenter - les morceaux atteignent parfois vingt minutes sur scène - ce qui, convenons-en, n’est pas si courant dans le monde du rock. De quoi l’inciter à piocher dans le répertoire de Led Zeppelin un certain nombre de titres et les arranger à sa façon pour une formation peu habituelle : il n’y a là que des instruments à vent (trompette, trombone, tuba, saxophones, clarinette, flûte) épaulés par sa batterie [2].

Avis aux zeppeliniens purs et durs : vous aurez bien du de mal à retrouver vos petits dans ce détournement stimulant de l’univers de votre groupe chéri ! Bien sûr, il vaut mieux être fin connaisseur de Led Zeppelin pour identifier - et savourer - « Dazed And Confused », « Ten Years Gone », « Black Mountain Side » ou « The Ocean ». Mais ce n’est pas une nécessité absolue. En effet, si l’empreinte mélodique de chaque titre est en général respectée, il faut la considérer avant tout comme la mise en bouche de chaque adaptation ; tout l’intérêt du disque réside dans le travail de transfiguration et de sincère réappropriation auquel se sont livrés les six Suédois. Mais après tout, n’est-ce pas là l’éternel recommencement du jazz, celui-là même qui reprenait à son compte des chansons issues de comédies musicales pour leur donner une nouvelle vie ? Inutile de citer des exemples, ils sont innombrables.

Depuis les années 60, le rock s’est taillé une large place dans le monde de la musique, instaurant des mélodies accrocheuses, donc de nouveaux standards, n’en déplaise aux grincheux qui aimeraient le voir confiné à son rayon d’origine. Et c’est ce patrimoine que LED vient remettre en lumière pour le parer de nouveaux atours [3]. C’est une réussite ! Les arrangements sont soignés, l’écriture ne nuisant en rien à la lisibilité de la trame mélodique, et les textures, soyeuses, sont dignes des meilleurs big bands et on doit aux solistes des interventions fougueuses et parfois très free ; ils ont manifestement pris grand plaisir à dialoguer et creuser le sillon de la passion du batteur pour Led Zeppelin. Ce dernier réussit son pari d’une re-création qui, respectueuse de la matrice, s’en affranchit au point qu’on finit non pas par l’oublier, mais par la laisser de côté - momentanément. Chaque chose en son temps…

L’instrumentation originale de LED est pour beaucoup dans notre intérêt immédiat pour The Ocean : cette fête aux soufflants, véritables héros du disque, n’est pas seulement un hommage original et vertueux à un groupe entré dans l’histoire du rock. C’est avant tout un vrai plat de résistance, consistant et savoureux, qu’on dégustera avec délectation. Avis aux gourmets !

par Denis Desassis // Publié le 28 novembre 2011

[11975, le sixième des neuf albums studio de Led Zeppelin.

[2Notons cependant la présence d’un invité suédois bien connu, le temps d’une luxuriante version de « No Quarter » et d’un chorus magnifique : un certain Dan Berglund, contrebassiste de Tonbruket et du regretté E.S.T.

[3Souvenons-nous : l’ONJ, sous la direction de Franck Tortiller, a célébré Led Zeppelin avec Close To Heaven en 2006 ; plus récemment, en 2010, Médéric Collignon glissait dans le final de son Shangri Tunkashi-La une version iconoclaste de « Kashmir ».