Sur la platine

La Compagnie 4000, en bande organisée

Présentation de la Compagnie 4000.


La Compagnie 4000 est une association créée en 2018 à Lyon par le saxophoniste Romain Dugelay. Il en est aujourd’hui le directeur artistique. À la fois structure de production et de diffusion de la musique, la Compagnie 4000 défend des projets tous plus chouettes les uns que les autres, issus d’une bande de musiciens gonflés qui hybrident les musiques entre elles. Tour d’horizon.

Le premier album de la Compagnie 4000 sort en avril 2019. Il s’agit du deuxième disque du groupe Pixvae baptisé Cali. Notre chroniqueur Gilles Gaujarengues écrivait à l’époque : « Cali est un savant mélange de rock tonitruant et de chants colombiens tout aussi intimidants. La musique de Pixvae est en effet fondamentalement sauvage. Tout est fait de riffs de guitare saturés et implacables, d’une rythmique acharnée et d’une palanquée de voix qui forment à la fois un chœur obstiné et des lead voices superbes et puissantes. » Tout est dit.

En septembre de la même année sort Boredoms, deuxième album d’Erotic Market. Pensé dès 2011 autour des textes de Marine Pellegrini, Erotic Market est tout d’abord un duo avec le compositeur Lucas Garnier. Depuis 2016, la chanteuse lyonnaise passée par le Grolektif, navigue en solo au gré de ses envies. Après deux albums aux accents R&B et électro (Queendoms (2018), et donc Boredoms), elle revisite ses propres compositions à l’épreuve de Heartstrings, un quatuor à cordes (Yovan Girard, Estelle Gourinchas, ainsi que Quentin Andréoulis et Aëla Gourvennec) que nous avions déjà entendu dans le bel album du groupe Le Migou sorti en 2017). Sur des arrangements lumineux du saxophoniste Romain Dugelay, les chansons de Marine Pellegrini se gorgent d’émotion et font de cette pop suave, organique et sensible, un must.

L’année suivante sort Claire Venus, troisième album du groupe Polymorphie après Voix en 2010 et Cellule en 2012. Polymorphie est un groupe emmené par Romain Dugelay qui, en plus du baryton et des claviers, signe les compositions et la direction artistique. On y retrouve Marine Pellegrini au chant, Simon Girard au trombone, Damien Cluzel à la guitare et Léo Dumont à la batterie. Un disque que Franpi Barriaux avait qualifié de passionnant et pour lequel il écrivait : « Polymorphie porte bien son nom. De morceau en morceau, l’atmosphère se transforme, même si le champ esthétique reste globalement cohérent. D’un Leonard Cohen placide à la fièvre de Marceline Desbordes, les rhônalpins passent sans encombre, laissant largement la ligne de basse de Romain Dugelay décider des températures et du climat. »

En juin de la même année, c’est le groupe Ukandanz qui sort un premier album 4 Against The Odds. Emmené par le guitariste et désormais bassiste Damien Cluzel qui signe les compositions, le groupe est composé de Lionel Martin au ténor, de Fred Escoffier aux claviers et de Thomas Pierre à la batterie. Le répertoire est inspiré des musiques éthiopiennes auxquelles Cluzel insuffle un souffle électrique et libertaire. Une sorte de free éthio jazz qui balance ostensiblement entre tradition et modernité et se révèle particulièrement addictif. À noter que quelques mois après ce premier album, sortait Kemeken, un nouvel opus intégrant la voix du chanteur éthiopien Asnaké Gébrèyès.

En 2022, c’est au tour d’An’Pagay d’y aller de son album, fruit de la rencontre entre les compositions du chanteur Luc Moindranzé Karioudja et des arrangements de Romain Dugelay. Encore une musique mélangée et métissée qui fait se rencontrer le maloya originel de l’Île de la Réunion avec le jazz et les musiques amplifiées. Un maloya électrique porté par une pulsation démentielle distillée par les deux batteurs Léo Dumont et Wendlavim Zabsonre et par le bassiste Damien Cluzel. Quant aux contrechants acrobatiques des chanteuses Margaux Delatour (Pixvae) et Cindy Pooch, ils se marient merveilleusement avec la voix chaude et éraillée de Luc Moindranzé Karioudja. Encore une très belle réussite.

En ce début d’année, c’est Pixvae qui revient dans l’actualité. Oi Vé est le troisième album du groupe franco-colombien. Toujours emmené par le saxophoniste Romain Dugelay qui imagine et arrange la plupart des morceaux du groupe, Pixvae est constitué du power trio lyonnais Kouma (Damien Cluzel, Romain Dugelay, Léo Dumont), de la chanteuse Margaux Delatour et de trois musiciens colombiens (les chanteurs Jennyfer « Xiomara » Torres et Israel Quiñones et le joueur de marimba Juan Carlos Arrechea). L’alliage entre l’énergie et la folie du free et du rock, les chœurs du currulao (musique traditionnelle venu de la côte Pacifique de la Colombie) et la polyrythmie des percussions d’origine africaine (le marimba en tête) fonctionne toujours à plein. On est happé par cette musique de transe qui invite frénétiquement à la danse. À noter le beau « Aguacerito Llove », chanté a cappella, qui ménage une pause bienvenue dans ce déluge orgiaque.

Dernier projet en date de la compagnie, Chimères, superbe trio emmené par Romain Dugelay avec Simon Girard au trombone et Anne Quillier au piano.

« J’avais cette envie qui me taraudait depuis quelques temps, nous confiait le saxophoniste, à savoir créer un trio qui serait en quelque sorte le négatif de Kouma, quelque chose de très acoustique et intimiste. Quand j’ai commencé à travailler avec Simon Girard sur la création Claire Venus de Polymorphie en 2018, j’ai su que j’avais envie de monter ça avec lui. J’ai ensuite réfléchi à une troisième personne jouant d’un instrument harmonique, et l’idée de travailler avec Anne Quillier, que je croisais régulièrement au Périscope, est assez vite apparue.
« L’idée de travailler sur des chimères est venue en écho à mon intérêt pour le mouvement dans la composition musicale. Quand un animal évoque un déplacement, une vitesse, un geste, la chimère en évoque au moins deux. Manchot et loup, pigeon et éléphant, etc. Cela ouvre tout un champ de possibles. Je me suis alors mis à imaginer des chimères improbables, aux déplacements antagonistes qui me permettaient de construire les bases de chaque composition, puis l’imaginaire a complété le reste. En parallèle, j’ai voulu proposer ces chimères à d’autres imaginaires, à savoir celui de la graphiste Ramataupia qui a dessiné chacune de ces chimères, ainsi qu’au rédacteur Amaury Rullière qui leur a inventé une existence. »Bref, je me suis vraiment bien amusé avec ce bestiaire, et j’ai hâte de le faire exister sur scène. Et le résultat est magnifique. « Choiseau », « Teckal », « Elephon », « Marmoquin », « Guéterelle », « Manchoup », « Ecurion », « Tortache », telles sont les Chimères imaginées par Romain Dugelay. Des compositions profondes, lyriques et lumineuses, qui avancent sur un fil, en équilibre instable, nous plongeant dans une grande sérénité.

Le prochain album de la Compagnie 4000 est prévu début juin, avec le groupe Saroyé du chanteur Luc Moindranzé.