Chronique

La Diagonale du Cube

Le Tombeau de Poulenc

Label / Distribution : Yolk Records

Sur la forme, la diagonale du Cube, c’est une histoire d’hypoténuse du triangle à rendre dépressifs tous les collégiens ; sur le fond, c’est la fusion de deux orchestres en grand format parmi les plus exaltants de l’Hexagone : Diagonal, de Jean-Christophe Cholet, et le Cube d’Alban Darche, dans sa dimension Orphicube. Onze musiciens réunis autour du Tombeau de Poulenc, accompagnés de Mathias Rüegg, l’ancien patron du Vienna Art Orchestra, qui vient ajouter sa science de l’arrangement à celles de ses hôtes. De quoi rendre un brillant hommage à l’un des grands compositeurs français de la première moitié du XXe siècle avec brio et élégance, mais sans déférence. A aucun moment Francis Poulenc n’est cité, fût-ce sous les traits de la caricature ou du message codé. « Dans les idées de Poulenc », signé Rüegg, où la clarinette de Matthieu Donarier court en liberté, poursuivi par le martèlement conjoint d’un clavier et de la batterie de Christophe Lavergne, tient plus du subliminal ; Diagonal et l’Orphicube content la genèse d’un concerto à deux pianos. Le premier tient au groove percutant de Cholet, le second au toucher exceptionnel de Nathalie Darche. C’est l’armature d’un ensemble où la somme des individualités et des talents ne se résume jamais à une aventure soliste.

Bien sûr, « Dans le sens de Poulenc » est l’occasion de voir briller Olivier Laisney à la trompette et Samuel Blaser au trombone, bien soutenus par le tuba de Matthias Quilbault. Mais la culture classique (le flûtiste du Vanneau Huppé, Pascal Vandenbulcke, n’est pas en reste), et la grande cohésion stylistique des trois compositeurs favorisent l’expression collective. Bien sûr, en écoutant les « Convergences » de Cholet, on goûte à ses audaces rythmiques dont l’homme de base est le contrebassiste Stéphane Kerecki. De même, dans les quatre parties du « Tombeau de Poulenc », on reconnaît sans difficulté la patte d’Alban Darche, qui ne se sert ici que de l’alto, tout en narration et en mouvements colorés. Poulenc s’est intéressé à l’image : il n’en fallait pas moins pour qu’Alban s’empare de cette tangente. La violoniste Marie-Violaine Cadoret y tient une place prépondérante (« Le Tombeau de Poulenc 4 », magnifique de complicité avec Nathalie Darche) tant elle joue sur son terrain de prédilection. La Diagonale du Cube n’est pas l’addition de deux formations qui agiraient en parallèle. A l’instar de Présences d’Esprits, qui réunissait Archimusic et MegaOctet en 2014, autour de ce tombeau danse un orchestre inédit. Une nouvelle projection du Cube, géométriquement parfaite, qui s’amuse follement.

Ce n’est pas parce que Poulenc est au tombeau qu’il faut tirer les mouchoirs. D’abord, l’excentrique compositeur était trop croyant pour ne pas y voir une prolongation de la vie terrestre dans une enveloppe plus spirituelle. Ensuite parce que le Tombeau ici est une forme poétique référentielle : les Romantiques, honnis par le Groupe des Six dont Poulenc était membre, lui préféraient les élégies. C’est bien sûr un clin d’œil appuyé au Tombeau de Couperin de Ravel, que Poulenc vénérait, ainsi qu’une forme de mariage d’amour entre les jeunes années du siècle du jazz et des prémices du cinéma, finalement si semblables. Le Tombeau de Poulenc est décidément un lieu bien vivant mais nullement hanté. Impossible de suivre le cortège sans une sorte de jubilation respectueuse. Avec fleurs et couronnes !

par Franpi Barriaux // Publié le 29 octobre 2017
P.-S. :

Jean-Christophe Cholet (p, comp), Alban Darche (as, comp), Matthias Rüegg (comp), Nathalie Darche (p), Marie-Violaine Cadoret (vln), Pascal Vandenbulcke (fl), Matthieu Donarier (ts, cl), Olivier Laisney (tp), Samuel Blaser (tb), Matthias Quilbault (tu), Stéphane Kerecki (b), Christophe Lavergne (dms)