Scènes

La Petite Boîte à Sables d’Or

Récit d’un concert envoûtant dans un endroit magique sur la côte de Penthièvre en Bretagne.


Théâtre de verdure de la Vallée de Diane à Sables d’Or Les Pins. Vendredi 5 août 2005. 21h.
La Petite Boîte.
Concert gratuit organisé par l’association « À l’est des Dunes » avec l’aide des mairies de Plurien, Fréhel et Pléneuf Val André, et du casino de Sables d’Or Les Pins

Thomas Leadlin : dm
Benjamin Moussay : p
Gérard Muller : b
Frédéric Norel : v
Jean Raymond Halbeisen : cl, fl

Ce concert, c’est vraiment n’importe quoi. Mark Turner joue du saxophone ténor alors qu’il n’est pas annoncé au programme et, au lieu de jouer du piano, Benjamin Moussay fait cuire les saucisses sur le barbecue. Mais non, c’est moi qui dis n’importe quoi. Ce n’était qu’un rêve. Je me réveille et Sables d’Or aussi.

Cette station balnéaire, extrêmement chic dans les années 1920, est depuis une belle endormie. Mais cet été, les façades ont été repeintes et le propriétaire du casino, relayant une initiative locale lancée par une association, À l’est des Dunes (« À Sables d’Or, près des dunes », dit la chanson) et un musicien, Thomas Leadlin, financent un concert de jazz gratuit dans un théâtre de verdure qui n’a plus servi depuis les thés dansants de l’Entre-deux-guerres.

Ce vendredi 5 août, au Cap Fréhel cher à Eric Le Lann, il fait un temps apocalyptique. Pluie, vent et brume sont au rendez vous. Mais, miracle quotidien de la marée, à 16h, les vents changent, les nuages s’éloignent et l’air s’assèche. Le concert aura donc bien lieu en plein air. Après avoir marché le long d’une allée de pins, je débouche sur un hémicycle entouré d’arbres hauts et fins qui se balancent au gré du vent. La scène est en béton, parsemée de colonnes, entre lesquelles deux voiles de voilier ont été tendues pour servir de toit symbolique.

De ce groupe, je ne connais que le pianiste Benjamin Moussay. Il n’est pas le leader mais c’est lui qui fournit l’essentiel des compositions jouées ce soir. Thomas Leadlin, lui, dirige, présente le groupe, les morceaux. Un seul « standard », pour commencer, « Boogie stop shuffle » de Charles Mingus. Très bonne entrée en matière pour chauffer l’atmosphère. Là, on est encore dans l’ambiance « club de jazz ». Or, nous ne sommes pas dans une cave parisienne ou un loft new-yorkais, mais à 200m de la mer, entourés d’arbres qui se balancent doucement au gré du vent.

Les musiciens se mettent au diapason. Les compositions s’harmonisent avec le rythme des arbres, du vent, du ciel, des nuages, des étoiles. Ils entrent en fusion avec l’univers qui les entoure et le public les suit. Public familial, nombreux (600 places assises, 100 personnes debout), attentif, respectueux. Comme un « lent bateau vers la Chine », la musique avance, se déploie, ondule, balance.

Thomas Leadlin est un batteur coloriste, au toucher fin et puissant, aux interventions pleines d’esprit. Benjamin Moussay est égal à lui même, donc magnifique. Frédéric Norel a le charme du gendre idéal et sa façon de jouer du violon achève de séduire les nombreuses mères et grand-mères de l’assistance. Jean Raymond Halbeisen fait passer des influences klezmer dans son jeu de clarinette. Pas si étonnant pour un Alsacien. Il est parfois trop timide mais Vincent Norel sait s’effacer pour lui laisser toute la place qu’il mérite. Quant à Gérard Muller, il ne fait pas de psychanalyse, il assure.

Ce premier concert de jazz à Sables d’Or Les Pins fut une réussite en tous points. Le ciel ne nous est pas tombés sur la tête. Le Théâtre de verdure de la Vallée de Diane est un endroit magique. Et surtout les musiciens, menés par Thomas Leadlin, à la fois directeur musical et organisateur du spectacle, ont capté la magie de ce lieu, nous l’ont restituée, et ont allégé nos coeurs et nos âmes. Albert Ayler est mort mais la musique est toujours « the healing force of the universe. »