Scènes

La Révolution selon Daniel Erdmann

Manu Jazz Club de Nancy : Daniel Erdmann’s Velvet Revolution.


© Jacky Joannès

Quand l’automne se fait hivernal en Lorraine, tous les moyens sont bons pour faire monter la température. À ce petit jeu, Daniel Erdmann est très fort. Malgré une affluence plutôt maigre, sa Velvet Revolution a réchauffé l’atmosphère et les cœurs.

Où sont-ils donc ? Je me permets de commencer cette rapide chronique par une question à la façon de Charles Trénet : où est passé le public de NJP, celui qui fait déborder le Chapiteau de la Pépinière lorsque la variété ripolinée au rap d’un Eddy De Pretto s’annonce ou quand Stacey Kent remplit deux fois de suite au cours de la même soirée une Salle Poirel énamourée de son jazz lénifiant ? Ce sont là les mystères du « faire savoir », sans doute, alors qu’une musique que je qualifierais volontiers de mélodique et vivante est proposée au cœur de la ville, dans une salle confortable et pour un tarif somme toute raisonnable. C’est en tous cas un sujet de réflexion primordial pour l’équipe de Nancy Jazz Pulsations à la manœuvre de ce rendez-vous mensuel. Affaire à suivre.

Vous l’avez compris : nous sommes peu nombreux ce 22 novembre au Théâtre de la Manufacture (à peine une centaine) pour accueillir le saxophoniste allemand Daniel Erdmann et sa Velvet Revolution, en trio. Et pas n’importe lequel puisque ses deux partenaires ont pour nom Théo Ceccaldi (violon et alto) et Jim Hart (vibraphone). Voilà par conséquent un trio où se côtoient trois nationalités : Allemagne, France, Angleterre. Différent de Das Kapital, mais tout aussi imprégné d’un sentiment européen au sujet duquel Daniel Erdmann me confiera ses craintes après le concert, tant il semble malmené par les poussées nationalistes du nord au sud.

Daniel Erdmann © Jacky Joannès

L’esthétique de cette révolution de velours – voyons-y à la fois un hommage à Václav Havel et un clin d’œil à la sonorité du saxophone d’Erdmann – est singulière, qui naît d’une formule sonore peu employée, mais très propice à la circulation de la parole entre les instruments et la mobilisation des énergies tant rythmiques qu’harmoniques pour chacun des musiciens.

Le trio s’appuie en grande partie sur le répertoire de A Short Moment Of Zero G, disque paru en 2016 chez BMC Records et dont Citizen Jazz avait mis en lumière les qualités particulières. Citons notre camarade Franpi Barriaux : « A Short Moment of Zero G constitue pour Erdmann une forme de synthèse ; son écriture est légère, comme en apesanteur.
Cette révolution de velours a peu de chance de dévier de sa trajectoire : elle est entièrement libre de ses mouvements ». Apesanteur se traduisant « Zero G » en anglais, vous l’aurez compris. Trois nouvelles compositions sont mises au programme, dont l’une ne porte pas encore de titre et se voit nommée provisoirement « Numero Uno » (peut-être pour conjurer le mauvais sort politique de l’Italie ?). Quant à « La Tigresse », autre inédit, elle sera pour Jim Hart l’occasion d’une démonstration brillante de ses qualités d’instrumentiste. Son vibraphone s’envole en chantant ! J’avoue humblement que je ne connaissais pas ce quadragénaire qui paraît 25 ans : l’Anglais – qui a récemment commis un Traveling Pulse avec ses Cloudmakers – est pour moi une belle découverte et je sais qu’il a réjoui le public, pour avoir pris le temps de bavarder avec quelques-uns de mes voisins.

Il faut aussi dire quelques mots au sujet de Théo Ceccaldi, dont on connaît l’appétit dévorant pour LES musiques, qu’il vient récemment d’assouvir une fois de plus au sein du fulgurant Coïtus Interruptus du trio In Love With, avec Sylvain Darrifourcq et Valentin... Ceccaldi ! Au sein de Velvet Revolution, il multiplie les rôles, passe du violon à l’alto, empoigne son instrument comme une guitare rythmique, fond sa sonorité dans celle du vibraphone ou du saxophone et se fend d’interventions nerveuses et hantées (ainsi, la splendide introduction en solo des « Frigos »). Ceccaldi a un petit côté prestidigitateur malicieux qui contribue beaucoup à la vivacité de l’ensemble. Difficile de ne pas se laisser surprendre par les embardées de son jeu !

Daniel Erdmann, lui, est aux anges. D’humeur joyeuse, il présente chaque composition avec beaucoup d’humour et du haut de ses presque deux mètres, fait régner le chant de sa musique avec une douce autorité. Il reconnaît volontiers son attachement à un son de velours – mais un velours d’une texture très ferme – qu’il cultive avec ce mélange de nervosité et de tendresse qui le caractérise. Et lorsque le trio entame « Over The Rainbow » en rappel, on comprend aussi sa capacité à libérer un thème de son cadre mélodique pour le chahuter, mais avec délicatesse. Dans ces conditions, on attend avec impatience le prochain disque de Das Kapital qui célébrera la musique française à travers les siècles.

Velvet Revolution aura été une belle entrée en matière pour la sixième saison du Manu Jazz Club, dont la direction artistique a été confiée à Thibaud Rolland et vers lequel nous aurons l’occasion de revenir. On attend la suite, dont l’un des plats de résistance sera la French Touch de Stéphane Kerecki au début de l’année prochaine. Et pour finir, doit-on rappeler que les absents ont eu tort ?

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