Chronique

Laurent Bardainne & Tigre d’Eau Douce

Hymne au soleil

Laurent Bardainne (ts, synth), Arnaud Roulin (org, synth), Sylvain Daniel (elb), Philippe Gleizes (dms), Roger Raspail (perc).

Label / Distribution : Heavenly Sweetness

Deuxième rendez-vous discographique après Love Is Everywhere (Heavenly Sweetness, 2020) pour Laurent Bardainne (Poni Hoax, Limousine, Supersonic…) flanqué de son Tigre d’Eau Douce, Hymne au soleil (oui, en hommage à celui-là même qui fut composé en 1912 par Lili Boulanger) porte assurément bien son nom. Ce qu’il est convenu d’appeler le soul jazz du saxophoniste – entendez par là une black music fiévreuse, très mélodique, au cœur de laquelle on discerne, entre autres, l’influence tout autant de Jimmy Smith que celles, spirituelles, de John Coltrane, Pharoah Sanders ou Gato Barbieri, sans oublier la présence subliminale des voix majeures que furent Marvin Gaye ou Bill Withers – éclate de mille reflets pour vous embarquer dans un doux périple vers la lumière. Laurent Bardainne est ici magnifiquement exposé et son jeu, intense et puissant, irradie l’ensemble.

L’équipage du premier disque est reconduit : Arnaud Roulin, compagnon du Supersonic de Thomas de Pourquery, aux claviers ; Sylvain Daniel à la basse et la paire Philippe Gleizes - Roger Raspail chargée de son côté d’alimenter la machinerie percussive. Autant dire qu’une intense chaleur traverse de part en part un album dont les dix compositions filent à la vitesse de… la lumière. Normal, quand on a les yeux tournés vers le soleil. L’Afrique, terre des inspirations, est au cœur du voyage, bien sûr, et ses beautés illuminent par exemple un « Kenya Sunrise » des plus poignants. Mais on est avant tout contaminé par une joie de vivre dont on se dit qu’elle est sans doute, aussi, le parfait antidote aux troubles qui agitent notre monde contemporain : « Oh Yeah », « La vie la vie la vie ». Le ton est donné d’emblée et le remède d’une redoutable efficacité. Pour cette seule raison, on prescrira sans la moindre hésitation cette cure de vitamine D à toutes celles et ceux qui seraient tentés de baisser les bras. Surtout, et sans la moindre crainte de dévaloriser cette nouvelle proposition du Tigre d’Eau Douce, on a envie de souligner que son Hymne au soleil s’adresse au plus grand nombre, qu’il s’agit là bel et bien d’une musique éminemment populaire. Ce qui n’a rien d’infamant.

Et puis, au cœur du chant des instruments, des voix surgissent au soleil de cet hymne, telle celle de la Guadeloupéenne Celia Wa sur « Jou An Nou Rivé » ou une autre, grave et elliptique telle qu’on la connaît depuis une bonne quinzaine d’années maintenant : en effet, petite gourmandise de fin d’album, la composition « Oh Yeah » qui ouvre Hymne au soleil se voit doublée et enrichie d’un texte écrit et chanté par Bertrand Belin (un compagnonnage de plus pour Bardainne, après Philippe Katerine, Oxmo Puccino ou encore Camelia Jordana) qui se glisse dans la peau d’un serpent se rêvant en « Oiseau ». Une ode à la liberté vue à ras du sol, le nez dans la grisaille et la poussière de nos vies quotidiennes : on ne saurait trouver meilleure raison de s’envoler avec une ménagerie aussi endiablée. Le Tigre d’Eau Douce va vous faire voyager, vous pouvez en être certains.