Scènes

Laurent De Wilde, pas de deux avec Stefano di Battista

Un des très beaux moments du festival Esprit Jazz à Saint-Germain des Prés en cette année 2012 : la rencontre entre un pianiste revenu à l’acoustique et un saxophoniste faisant semblant de s’être assagi.


Un des très beaux moments du festival Esprit Jazz à Saint-Germain des Prés en cette année 2012 : la rencontre entre un pianiste revenu à l’acoustique et un saxophoniste faisant semblant de s’être assagi.

Photo RipoDesign

Il y a la phase d’approche où les deux musiciens, costume sombre (se sont-ils donné le mot ?), se glissent dans leurs instruments, apprivoisent ce lieu si particulier (l’église Saint-Germain-des-Prés), et la scène éphémère qui leur a été aménagée à la croisée du transept, épicentre du vieil édifice. Une telle situation pourrait même dérouter des musiciens aguerris, obligés de se frayer un chemin depuis la sacristie-loge d’artistes jusqu’au lieu de la (s)cène où doit donc opérer, devant un large public savourant les chaises inconfortables, ce duo inédit s’appuyant sur ses propres compositions et quelques thèmes fameux de Monk.

Le début du concert est donc réfléchi, bien en boîte ; à chacun ses répliques, des mesures pour prendre la mesure, appliqués sur le thème, sages comme deux images alternant les impros, Di Battista, officiant, recueilli, et De Wilde « revenu » à l’acoustique et dans la droite ligne de son album récent (Over the Clouds) via cette formation intimiste où tout ne peut être qu’écoute, dialogue et échanges sur un mode plus réservé qu’à l’habitude.

Et puis tout va se dérider après une salve empruntée pour une part aux récents albums des deux compères, salve d’ailleurs gentiment tournée en dérision et qui laisse place à une seconde placée sous l’ombre de Monk, dont on sait combien De Wilde est proche et attentif (cf son ouvrage consacré au pianiste [Folio]).

Photo Patrick Audoux/Vues sur Scènes

Le set prend une autre tournure au moment où ces deux musiciens entrent en résonance, reprennent les lignes de l’autre, les jouent et déjouent. Avec un tel duo, évidemment, l’entente et le plaisir de jouer ensemble sont primordiaux. C’est une évidence, mais c’est encore plus évident ce soir-là tandis qu’ils laissent s’exprimer des choses indicibles qui subliment leur jeu, de la gourmandise, des clins d’œil. De petits guet-apens. Une atmosphère.

Stefano di Battista était invité par le pianiste. Un choix superbe car ce saxophoniste italien plongé trois fois dans le bop lors de sa naissance est un chahuteur : il a l’art de bousculer les lignes, d’introduire sciemment le désordre, propre de l’impro, avec une onctuosité de chanoine. Ici, duo oblige, il s’est détourné des longues lignes parkériennes accélérées pour adopter un jeu apaisé en résonance et en prolongement du piano. Toutefois, par petites touches, il introduit dans ce bel ensemble la vision ironique du jeu qui caractérise si bien ses interventions. Tout un art.