Chronique

Laurent Dehors Trio

Moutons

Laurent Dehors (ts, cl, bcl), Gabriel Gosse (g), Franck Vaillant (dms, elec)

Label / Distribution : Autoproduction

Tout est toujours question de cycle avec Laurent Dehors, où l’importance est de rester constant. La constance, c’est la fabuleuse machine à entropie qui se met en branle dans « Les Oiseaux », avec ce son rauque et entraînant qui s’oppose au piaillement des anches. Nous sommes dans un univers connu, dont on aurait changé l’aménagement intérieur… Après avoir passé un moment avec le pianiste Matthew Bourne, voici que le musicien normand privilégie une autre section de son orchestre pour une rencontre en petit comité. Les tenants du rock, à entendre la direction prise par le jeune guitariste Gabriel Gosse sur le généreux « Too Fast », où le batteur Franck Vaillant fait parler son inventivité volubile. Laurent Dehors n’a jamais eu peur d’aller sur ce terrain, et ce n’est pas Moutons qui va le contredire.

Laurent Dehors en trio avec une guitare et une batterie, il fallait être du siècle dernier pour s’en souvenir, En attendant Marcel. Las d’avoir patienté, le leader a décidé de balayer le passé et de remettre l’ouvrage sur le métier. Le contexte est différent, tout comme la couleur, qui se métallise davantage et se dote d’une électronique dont Vaillant est responsable. Dans « Habop », joli morceau un peu nostalgique, la clarinette contrebasse vrombit, cernée par les sons altérés et les mutations soudaines. Plus que jamais peut-être, dans un contexte resserré, la musique de Dehors a les attributs du vif-argent. C’est ce qui a changé, d’un trio l’autre : en plus de vingt ans, la direction prise par le Rouennais s’est affirmée, son style s’est singularisé et ce nouvel orchestre en révèle le squelette. On le constatera dans le désormais traditionnel « Attention à tes béquilles » tiré des Sons de la Vie.

Si le présent album s’appelle Moutons, ce n’est pas seulement parce que l’animal simple et sympathique est au cœur d’une pièce déclamée en allemand de cuisine au pivot de l’album (« Klein Sturm »). C’est aussi parce que dans le parti pris plein de dérision de Laurent Dehors, il y a tout à la fois de la douceur qui aime à rester sauvage, singulièrement dans la guitare de Gosse que l’on sait nourri depuis longtemps de la musique de son leader. Tout comme dans la belle paréidolie de notre ami Michel Laborde qui signe la pochette, il y a une volonté de voir l’humanité partout, y compris dans les machines, avec la candeur d’un petit animal laineux. De la poésie jusque dans le détails, exactement comme l’on aime Laurent Dehors.