Portrait

Le Grigri, comme à la radio

La radio Le Grigri entame une troisième année, l’occasion de faire un point d’étape.


Le Grigri, c’est une radio en ligne et en application pour smartphones qui diffuse les musiques qu’on peut facilement identifier comme la Great Black Music. Jazz en premier lieu, mais surtout et aussi du hip-hop et toutes les petites cousines...
Inventée et portée à bout de bras par Antoine Bos (délégué général de l’AJC) et Mathieu Durand (journaliste, passé aussi par Citizen Jazz), Guillaume Biau (programmateur radio) et Emilie Bouillaguet (universitaire touche-à-tout le jazz), la radio s’étoffe et propose de plus en plus de rédactionnel, de thématiques et d’émissions. Comme par ici, on aime ces musiques et on écoute le Grigri en coupant des oignons ou dans la salle d’attente de notre avocate fiscaliste, on a posé quelques questions à l’équipe. Leur réponse est collective.

- Comment définissez-vous la radio Le Grigri, maintenant que vous avez pris un rythme de croisière ?

On espère que Le Grigri est devenue la radio qui manquait à la génération qui aime le jazz ET le hip-hop. On a toujours dit que notre joie et notre fierté c’était d’intercaler Vincent Courtois ou Naïssam Jalal entre le Wu-Tang Clan, Dorothy Ashby, Madlib, Gal Costa et Noname. Et c’est toujours le cas.

De manière plus générale, on essaie de ne pas limiter le projet à sa face radiophonique car aujourd’hui, Le Grigri, c’est aussi un site éditorialisé avec des centaines d’articles et de chroniques de disques qui sont essentiels pour les auditeurs qui veulent en savoir plus après avoir découvert des artistes à l’antenne.
Dernièrement on a fait un focus sur le hip-hop japonais, une story sur le « Everybody Loves The Sunshine » de Roy Ayers ou une semaine spéciale Finlande, qui allait du beatmaking de FatGyver au jazz frondeur de Koma Saxo.

La bonne musique, c’est comme l’appétit qui vient en mangeant : plus on en écoute, plus on a envie d’en écouter

En fait, si on devait résumer, Le Grigri c’est un projet chronophage. Parce qu’il prend beaucoup de place dans nos vies mais aussi dans celle des auditeurs : les gens qui viennent sur la radio restent toujours très longtemps – on a très peu de courtes écoutes. La bonne musique, c’est comme l’appétit qui vient en mangeant : plus on en écoute, plus on a envie d’en écouter.

- Est-ce qu’elle colle au projet initial ou avez-vous eu des changements importants à faire ?

Le projet initial du Grigri, c’était un peu de se créer une place qui, nous semblait-il, n’existait pas encore, du moins en France : une radio qui soit un vrai vecteur de découvertes de la Great Black Music dans le sens le plus large du terme et une radio autour de laquelle pourrait se rassembler une communauté de gens curieux et avides d’échanges musicaux.
Aujourd’hui, avec plus de trente émissions régulières, de nouvelles plumes pour nos articles, de nouvelles personnalités qui gravitent autour de la radio, on se rapproche de plus en plus du projet initial.
C’est par la présence de ces nouvelles têtes que Le Grigri évolue sans nécessairement se départir de son ambition première : partager l’impressionnante production de bonne musique à travers le monde qui n’a que rarement droit de cité dans les medias traditionnels.
D’où le nom « Grigri » : on veut porter bonheur à des artistes méconnus et apporter du bonheur aux auditeurs grâce à ces découvertes.

- Comment abordez-vous cette 3e saison ?

Pour une série, la saison 3 est la saison de tous les dangers. David Lynch a attendu vingt-six ans avant de faire celle de Twin Peaks. Mais pour un media comme nous, c’est surtout la saison des possibles.
On l’aborde donc avec excitation et transpiration. Avec excitation parce qu’en cette rentrée, on accueille plus de 20 nouvelles émissions pour atteindre la trentaine de shows à l’antenne. Une manière pour nous d’ouvrir toujours plus l’éventail de la radio : on proposera pour la première fois des sélections uniquement centrées sur les traditions de l’Est, les diasporas africaines, l’âge d’or du hip-hop ou les musiques engagées du monde entier.

on a un vrai rôle à jouer pour aider les artistes qui galèrent avec les conséquences du Corona

Avec transpiration parce que tout le monde est bénévole à la radio et toutes ces émissions couplées au travail de recherche d’avant-premières, de disques de la semaine, etc., ça signifie beaucoup de boulot (entre l’organisation, la promotion, la mise en ligne…). On a vu pendant le confinement nos audiences exploser. En ces temps si difficiles (pour ne pas dire plus) pour la musique live, on sait qu’on a un vrai rôle à jouer pour faire découvrir et aider les artistes d’aujourd’hui qui galèrent avec les conséquences du Corona…

- Quel est votre modèle économique et quels sont les projets de développement ?

Le Grigri est une association sans subvention. C’est un avantage autant qu’un handicap. Ça nous laisse une liberté incroyable, mais ça nous oblige à redoubler d’imagination pour financer les frais liés au fonctionnement de la radio. L’an dernier, on a fait une campagne de crowdfunding qui nous a permis de lancer une application mobile 100% gratuite et de rentrer dans nos frais.

On a vraiment envie de développer le côté live du Grigri

Une partie des cachets de DJ-Sets que nous faisons sont réinvestis dans l’association, comme cet été où nous avons été invités par Le Barboteur à proposer des Siestes Musicales thématiques le long du Canal de l’Ourcq.
Si le Covid n’était pas venu nous pourrir la vie, on voulait développer les soirées Grigri pour rencontrer nos auditeurs en vrai. On avait débuté une résidence à la Petite Halle et on a été déçus de devoir la mettre en pause, même si on réfléchit à d’autres manières de provoquer des rencontres avec ceux et celles qui écoutent la radio.
On a vraiment envie de développer le côté live du Grigri mais en attendant, on va en profiter pour nous pencher sur d’autres marottes qui nous trottent en tête comme le format vidéo ou une émission avec de la parole (puisque tous nos shows sont pour le moment 100% musicaux).

- La nouvelle équipe agrandie va augmenter le nombre de plages thématiques (émissions), est-ce que cette façon de fonctionner prime sur la playlist de base ?

Non, pas du tout. C’est plutôt complémentaire.
Les nouvelles émissions apportent une plus grande variété de teintes esthétiques, mais la base, c’est la programmation quotidienne de la radio que l’on affine chaque jour : on s’efforce de mettre en avant les jeunes musiciens et musiciennes, d’aller toujours plus loin dans la découverte dans tous les sens du terme. Sur nos derniers disques de la semaine, on est fiers d’avoir navigué entre Zanzibar, Estonie, Mali, Nigéria, Brésil ou Tanzanie grâce à Siti Muharam, Misha Panfilov, Oumou Sangaré, Etuk Ubong, Tigana Santana et Kutiman.

- Comment distinguez-vous la radio des sessions DJ que vous assurez ?

Quand on fait des DJ-Sets pour de grands événements comme le 3 octobre prochain pour le Tribu Jazz Festival, on assume de passer des choses bien plus « punchy » que sur la radio.
On sait que nos auditeurs aiment travailler, vivre, manger, s’embrasser ou dormir avec Le Grigri. On fait vraiment attention à ce que la programmation quotidienne soit pointue, remplie de découvertes, de jeunes groupes, etc., mais qu’elle reste toujours « accessible » à tous.
Nos DJ-Sets, c’est une autre affaire : ça reste la « couleur » de la radio, mais en plus dansant. La radio s’adresse à la tête et au cœur, le DJ-set s’adresse aux pieds et aux fesses.

- Vous pouvez proposer une playlist pour illustrer cette interview ?

Oui, on mettrait bien la playlist de la dernière Happy Hour, c’est-à-dire les morceaux les plus likés par les auditeurs. Car elle prouve qu’on a la chance d’avoir rassemblé une communauté éclectique qui peut passer de la légende jazz Abbey Lincoln au rappeur underground Skyzoo, tout en validant nos choix éditoriaux comme les Belges de Schroothoop, la joueuse de piri coréenne Park Jiha ou le saxophoniste suédois Otis Sandsjö.