Scènes

Le jazz revient rue du Colisée

A compter de mars 2009, le jazz fait son retour dans la très chic brasserie parisienne « Le Bœuf sur le toit », dans le VIIIè Arrondissement de Paris.


A compter de mars 2009, le jazz fait son retour dans la très chic brasserie parisienne « Le Bœuf sur le toit », dans le VIIIè Arrondissement de Paris.

C’est en 1941 qu’il y fait sa première apparition sous l’égide de Jean Cocteau, amoureux du jazz et habitué du « Bœuf ». Il y invite ses amis et des musiciens comme Charlie Parker, Django, Benny Carter… On dit que l’expression « faire le bœuf » vient de là.
Sous l’impulsion du programmateur, journaliste et homme de radio, Frédéric Charbaut, la brasserie fera de nouveau le bœuf - une fois par mois seulement. C’est peu, mais bien payé, paraît-il. En tout cas, la brasserie fêtait cet événement en grande pompe, en ce début février, par un grand bœuf, justement, dans la salle du bar (dont l’acoustique est à revoir, au passage).

Le Tout-Paris jazz et mondain est présent : bons et mauvais « artistes », vieilles rombières et jeunes siliconées, vieux riches et beaux gosses… et quelques membres de la Star’Ac et de la Nouvelle star.
Anne Ducros et le jeune Gauthier de la Star’Ac - qui chante pour prouver à sa maman qu’il est capable de faire quelque chose de sa vie (dixit le site de la Star’Ac) - interprètent dans la soirée plusieurs standards (dont « Just In Time » avec Sébastien Llado), et le trio du pianiste Pierre Christophe — Raphaël Dever (cb) et Mourad Benhammou (dr) — qui mène rondement la première partie. Le tout dans un très bon esprit - un vrai bœuf !

André Manoukian - juré de « La Nouvelle star » - passe en coup de vent faire le bœuf avec Manu Dibango ; ils sont accompagnés par l’excellent tromboniste (et musicien !) Sébastien Llado et le batteur Laurent Bataille pour un standard mainstream de Count Basie. Par la suite, le guitariste de blues Amar Sundy mettra littéralement le feu via des titres soul, blues et funky avec Dibango, après avoir longtemps attendu son tour. Bref, la sauce prend bien et c’est un vrai bœuf, avec ses aléas : Gauthier de la Star’Ac remonte sur scène pour un - pas toujours très juste - « Georgia », heureusement sauvé par les musiciens (Llado, encore, et Anne Pacéo). La chanteuse Victoria Rummler s’acquitte d’un « Corcovado » difficile - il pose quelques soucis au pianiste Laurent Assoulen. Enfin, le trio a capella The Maybes apporte une bouffée d’air revigorante en interprétant « L’Abécédaire » sur scène, puis « So Sincerely » dans la salle (la scène étant occupée par la Star’Ac).

Après ce petit tour d’horizon, on peut penser que le « Bœuf sur le Toit » ne sera pas un grand lieu de jazz ni de création artistique. On devine plutôt une scène de divertissement pour gens aisés. Et l’intrusion, ce soir-là, de membres de la Star’Ac et de la Nouvelle star est significative. Leur activité est déjà largement médiatisée, et ils n’ont pas grand-chose à faire sur une scène qui se proclame « jazz ». Est-ce la quête de respectabilité (ou, pire encore, parce qu’ils n’ont pas d’autre moyen de monter sur scène) qui les pousse à se mêler au milieu du jazz, considéré comme plus noble ? Ce n’est pas une première puisque le Duc des Lombards avait déjà accueilli Anne Ducros, pendant cinq jours consécutifs (« Anne Ducros Vocal Jazz Révélations »), en compagnie de Nikos Aliagas, présentateur de la Star’Ac…

Que celle-ci plaise au plus grand nombre, soit ! Que les ados pensent que Gauthier est un grand artiste, c’est leur problème. Mais que des clubs de jazz, symboliquement réputés, accueillent sous l’étiquette « concert de jazz » de tels amalgames, il y a de quoi s’inquiéter… N’y a-t-il pas assez de musiciens de jazz disponibles pour qu’on puisse programme une soirée jazz à Paris ?

On espère seulement que la direction du « Bœuf » se rappellera le talent des musiciens qui venaient jadis y faire le… bœuf, que cette apparition incongrue de la télévision ne se justifiait qu’en cette seule soirée de lancement, et que le milieu du jazz trouvera finalement un lieu accueillant rue du Colisée…