Sur la platine

Le label sur la montagne

Petit portrait du Montagne Noire, le label du GMEA


Installé depuis bientôt quarante ans dans la ville d’Albi, entre le Pont Neuf et le marché couvert, à quelques pas de la magnifique cathédrale de pierres rouges, le GMEA (pour Groupe de Musique Électro-Acoustique) est labellisé C.N.C.M. par le Ministère de la Culture (au même titre que La Muse en Circuit à Alfortville créée en son temps par Luc Ferrari). Ces Centres Nationaux de Création Musicale ont pour but de défendre et promouvoir, plus simplement faire vivre, la recherche musicale dans ce qu’elle a de plus audacieux voire expérimental. Le son est la vibration d’une onde : il s’agira d’en creuser la structure et repousser les limites de son audition. En cherchant de nouvelles pistes et en provoquant des émotions nouvelles, le GMEA est, en quelques sortes, le département Recherche & Développement de la sensibilité humaine.

La spatialisation, les structures atypiques, les performances inattendues (église, parc, cloître, etc.) sont ainsi des maîtres mots pour des expériences qui sont aussi à visage humain et proche du public. Plusieurs événements rythment cette action. In A Landscape, une fois par mois, propose aux Albigeois des concerts dans le petit auditorium. Une trentaine de places seulement et une proximité avec la musique propice à l’écoute profonde. Le Festival Riverrun également, depuis trois ans maintenant, donne à entendre en Occitanie (il se délocalise à Saint-Juéry, Gaillac, Toulouse), les musiciens les plus engagés dans la sphère de ces productions musicales alternatives.

Un coup d’œil sur le site, à la page des artistes ayant participé, à un moment ou à un autre, à ces rencontres vous donnera une idée de vers qui il faut se tourner si vous souhaitez élargir votre connaissance du milieu. Notons, par ailleurs, que de nombreux intervenants évoluent aux frontières des esthétiques défendues dans les colonnes de ce magazine (Gilles Coronado, Christophe Lavergne, Julien Pontvianne, Julien Desprez, Pascal Niggenkemper pris au hasard parmi d’autres).

Aujourd’hui, le GMEA se dote d’un nouvel outil pour assurer sa promotion et diffuser le vivant de cette musique. Le label Montagne Noire publie ses deux premières références. Joëlle Léandre et Alexandra Grimal en duo puis, duo également, Christine Wodrascka et Jean-Yves Evrard. Ce dernier, guitariste, a côtoyé longuement le réseau de la musique contemporaine, a rencontré John Cage ou Mauricio Kagel, a été l’élève de Misha Mengelberg et joue au sein des formations belges Mâäk’s Spirit et Rêve d’Eléphant. Christine Wodrascka, pianiste, plus connue dans l’Hexagone (elle côtoie Jean-Luc Cappozzo, Daunik Lazro, Sophie Agnel, etc.) a un parcours similaire. A son aise dans l’improvisé, elle entremêle les cordes de son piano à celles de la guitare. De fait, il est difficile de distinguer qui joue quoi. Les évidences timbrales des instruments n’aidant en rien, les deux complices usent de tous les subterfuges pour détourner les sons communément attendus. Ça tape, ça gratte, les notes, rondes et cristallines, se heurtent les unes aux autres en étincelles et si on ne sait pas qui est où. Ce n’est en rien gênant, on se laisse gagner par l’écoulement commun. Sur ce continuum de nappes changeantes, les alliances et les alliages se nouent. Les propositions glissent et s’émiettent à la vitesse des idées nouvelles qui arrivent et gonflent graduellement sans atteindre la rupture. Du plein en mouvement pour un duo cohérent et qui a à dire.

On entend chez la contrebassiste et la saxophoniste des pratiques qui ne sont en rien celles de l’ordinaire. La seconde est membre du Tentet de la première mais c’est ici leur première rencontre discographique seule à seule, en tête-à-tête. Pour le coup, le timbre traditionnel des instruments est à l’honneur. La chaleur du saxophone prend place dans le vaste ambitus de la contrebasse et leur association est une communion de l’ordre de l’évidence. Si le souffle de Grimal est bien celui de la parole (elle chante parfois), vindicative, spirituelle (mystique et drôle), personnage sonore qui se dresse et avance, Léandre est un paysage. Tour à tour montagne, plaine, mer et rivière, pluie, vents, soleil, elle est la cause des inclinaisons ou des ascensions de sa partenaire, les raisons de son humeur. Une musique de l’évocation, de la convocation, de l’invention et du partage.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 24 novembre 2019
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