Scènes

Le monde selon Marc Berthoumieux

Samedi 8 juin 2019, Marly Jazz Festival. Obradović-Texier Duo, Marc Berthoumieux Quartet


Marc Berthoumieux Quartet © Jacky Joannès

D’un monde à l’autre… Il y a d’abord celui de Lada Obradović et David Tixier avec leurs mystères en clair-obscur. Puis celui des voyages au pays mélodique de Marc Berthoumieux.

Ils sont deux : le Français David Tixier et la Croate Lada Obradović . Sur leur chemin, on compte déjà pas mal de récompenses, dont le tremplin national de Jazz à Vienne présidé par Giovanni Mirabassi ou, tout récemment, le tremplin Jazz Up organisé par Nancy Jazz Pulsations. Il est au synthétiseur basse et au piano qu’il enrichit de quelques sonorités électroniques en provenance de son ordinateur. Elle est aux percussions, à la batterie (acoustique ou électronique) principalement, un instrument dont elle dit qu’il est « un piano fait de peaux que l’on touche ». Elle s’empare parfois d’un petit hang ou prend le micro pour chanter-parler en modifiant sa voix jusqu’à la rendre méconnaissable. Leur monde est celui des accidents mineurs du quotidien comme une montre qui se brise, sans doute pour nous aider à réfléchir sur le temps qui passe ; celui de la vie intérieure des êtres humains qui doivent apprendre à préserver leur libre arbitre ; celui aussi de personnages surgis de la nuit tels les elfes. Leur musique passe de subtiles variations cristallines où les sonorités se croisent et s’entremêlent dans l’univers des contes de notre enfance, jusqu’à des envolées sous forme d’accélérations brutales imprimées par la batterie, pour mieux ouvrir en grand la porte de la liberté et des improvisations du piano. Le concert du duo Obradović-Tixier est un voyage onirique vers l’inconnu et le mystère des rêves que chacun d’entre nous a pu faire un jour ou, plus précisément, une nuit. C’est une découverte et, à n’en pas douter, une promesse. Cette musique est en devenir. Et lorsque les deux musiciens saluent le public avant de quitter la scène, le pianiste ne sait pas encore qu’il y reviendra deux heures plus tard, convié par Marc Berthoumieux au rappel de son concert pour un quatre-mains avec Giovanni Mirabassi.

Obradovic-Tixier Duo © Jacky Joannès

Le monde selon Marc Berthoumieux est d’une autre nature que celui du duo Obradović-Tixier. Chez lui, s’il est question de voyages, ce sont d’abord des invitations au pays de la mélodie. Il ne faut pas oublier que le Savoyard, aussi à l’aise sur la scène jazz qu’aux côtés de têtes d’affiche de la variété française, déroule une « petite musique » tendre et joyeuse. Et comme je le soulignais récemment dans ma chronique pour Citizen Jazz de son récent album Le bal des mondes, l’accordéoniste vient « assouvir chez beaucoup d’entre nous un appétit de légèreté. C’est de douceur qu’il est question, peut-être faudrait-il parler de chanson ». Et pour servir cette jolie cause, on trouve à ses côtés une paire rythmique – Laurent Vernerey à la basse électrique et Francis Arnaud à la batterie – tout deux au service des « chanteurs » de leurs instruments installés sur le devant de la scène. Partenaire de Marc Berthoumieux en concert comme en studio, intronisé Maestro, c’est le pianiste Giovanni Mirabassi, l’une des figures majeures du jazz européen. Pour ne pas dire une légende. Un musicien à haute teneur en lyrisme dont on ne saurait oublier les aventures en solo, Avanti ! et Adelante. Et encore ne s’agit-il là que de deux illustrations d’un parcours d’une grande richesse.

Marc Berthoumieux © Jacky Joannès

Le concert du Marly Jazz Festival puise son répertoire dans Le bal des mondes : c’est l’occasion pour Marc Berthoumieux de rendre hommage à ses pairs que sont Jo Privat (« Jo In A Blues ») ou Marcel Azzola (« Lina et Marcel ») ; de saluer la mémoire de Didier Lockwood (« Starlight For Ever ») avec lequel l’accordéoniste a travaillé ; mais aussi de dédier une composition à Pat Metheny (« Le bleu de Majorelle »). Un show réglé comme une horloge qui est aussi le prétexte à des retrouvailles en droite ligne de l’au-delà puisque Claude Nougaro vient faire entendre sa voix à la fin de « Fleur Bleue » (cette chanson, dont la musique est de Marc Berthoumieux, avait été enregistrée peu de temps avant la mort du chanteur en 2003 pour son ultime album inachevé La Note Bleue). C’est troublant, presque dérangeant. Au bout du compte, on perçoit que toutes les mélodies font l’objet d’un soin amoureux et sont des invitations au partage d’une joie communicative (« Jour de fête », « Vent d’Ouest »), quand elles n’invitent pas à un voyage par-delà les continents avec le très brésilien « Tudo Bem », voire beaucoup plus loin encore (« Derrière la lune »). Les interventions de Giovanni Mirabassi – dont on aurait aimé qu’il bénéficie d’une sonorisation le mettant sur un pied d’égalité avec l’accordéoniste – nous rappellent aussi qu’il existe dans le jazz cette part d’incertitude et de liberté toujours à conquérir.

Marly a ouvert Le Bal des mondes pour le troisième rendez-vous de son édition 2019. Eh bien, dansez maintenant !

Sur la platine

  • Obradovic-Tixier Duo : Professor Seek & Mister Hide (Cristal Records - 2018)
  • Marc Berthoumieux : Le bal des mondes (Sous la Ville - 2018)