Scènes

Le temps du funk au Mont St Michel

Compte rendu du festival de la baie du Mont Saint-Michel


Hervé Samb & Lisa Simone à Jazz en baie

Jazz en baie 2016 se dirige doucement vers sa fin pour la partie granvillaise avec deux soirées au Jardin Dior. Voici venu le temps de la soul, du funk, de l’acid jazz et du world jazz, ces « cousins » qui peuvent être fort sympathiques !

Samedi 13 août 2016
Robin McKelle, The Looking Glass : entre énergie soul et délicates ballades
A l’image de « Gravity » (The Looking Glass, Doxie Records, 2016), « I Can’t Go for That » est un titre très rythmé où Adam Jackson (batterie) s’illustre par un solo qui brille par sa force et sa vélocité. Moins rapide, « Miss You » fournit néanmoins l’opportunité d’un gros numéro à Eli Meneze (guitare). Bien qu’elle assure le spectacle, Robin McKelle semble un peu en retrait sur ces trois titres : manifestement, elle a des soucis avec son oreillette droite. Cela ne l’empêche pas de signer un duo très agréable avec Jake Sherman (piano) dans la ballade qui suit, « Get Back Yesterday ». On lui change enfin son oreillette à la fin de ce morceau et, en grande dame, elle gère ce moment avec beaucoup d’humour.

Tout le monde se lève pour « Stand Up » que la chanteuse présente comme le symbole du peuple français debout face à ce qu’il endure. Cette fois, le concert est vraiment lancé. Le public est définitivement conquis. Robin McKelle, elle-même, semble libérée. Son chant devient plus ardent, sa présence physique s’affirme, elle multiplie les signes de connivence avec ses musiciens. « Stay », délicate ballade, voit la modulation de son chant s’amplifier. C’est l’heure de gloire de Matt Brandau (basse). Il signe ici un solo très mélodique avant un court duo avec Robin McKelle qui s’illustre par deux passages de scat très réussis. On retrouvera le bassiste dans un « Tainted Love » dont la batterie sonne plutôt rock. L’écho est très important dans le public.
Le silence est quasi religieux, en revanche, pour écouter « Nothing Compares 2 U », cette belle mélodie qu’elle chante seule au piano et qu’elle dédie, en français, à Prince et à toutes les victimes du terrorisme. L’émotion est palpable dans sa voix et le public la remercie par une ovation debout.
« What You Want », qu’elle qualifie de « chanson inoubliable », est interprétée avec une telle conviction qu’elle en chante une partie genou en terre. Le titre bénéficie aussi d’un très long et brillant passage en scat en duo avec Jake Sherman au piano numérique.
La fin du concert, rappel inclus, est échevelée et sous le signe de la danse. Robin McKelle est littéralement portée par la guitare et la basse déchaînées. Elle se lâche comme je ne l’ai jamais vue faire. Veste tombée, en débardeur, elle multiplie les poses acrobatiques dont certaines font penser au vieux casatchok ! Dans le public, c’est un vrai délire…

Maceo « Ray Charles » Parker à Jazz en baie

Maceo Parker : un grand comédien
D’entrée de jeu, Maceo Parker donne le ton avec une entrée de pitre qui prend la pose devant les photographes. En introduction au second titre de la soirée, il se félicite d’être accueilli par un festival de jazz avant de caricaturer cette musique. Puis il se place sous le patronage de James Brown et se lance dans une chanson au rythme endiablé. Les choristes le rejoignent et dansent avec lui.
Dans la seconde partie du concert, nous aurons droit à une imitation hallucinante de Ray Charles. Tout y est, les lunettes noires, la démarche hésitante et les gestes désordonnés, la voix et même la gestuelle du chanteur.
Il va jusqu’à inviter sur la scène un couple d’amoureux et le cavalier demande la main de sa belle en direct !

Heureusement, il joue aussi du saxophone alto (accessoirement de la flûte) et il chante. Au saxophone, il possède un jeu puissant et multiplie les envolées lyriques, avec toujours un rythme nettement marqué. Mais il peut être aussi capable d’une douceur confondante, comme quand il joue dans le souffle.
Resté seul en scène, Bruno Speight (guitare) nous régale d’un long numéro de slapping. Martha High, qui accompagna James Brown pendant plus de trente ans, le rejoint et nous donne un aperçu de son charisme et de ses qualités vocales : voix ample et puissante, tessiture étendue, sens aigu du rythme. Greg Boyer, accompagné par Will Boulware (piano) nous prouve que le trombone peut être un instrument très délicat. Darliene Parker, la seconde choriste, brille par la sensualité de sa danse et de sa voix qui va de la raucité à la douceur charmeuse. Sa prestation s’achève par un subtil duo avec Maceo Parker à la flûte.

Evelyne Kallansee au Jardin Dior (Jazz en baie)

Dimanche14 août 2016
Tristan : du muscle mais pas seulement
Dans cette atmosphère très particulière des concerts en plein air, entre chien et loup, le Jardin Dior accueille Tristan, un groupe néerlandais d’acid jazz. Dans ce groupe, les compositions entre jazz et funk mêlés d’échos hip-hop sont collectives. La chanteuse Evelyne Kallansee est la figure centrale de Tristan. Très chaleureuse, dotée d’une voix puissante et claire, d’un vrai sens du rythme, elle chante en anglais.

Si, comme ses compagnons de scène, elle brille dans les pièces rapides et musclées, elle est aussi capable de belles nuances dans les ballades. J’ai particulièrement apprécié son interprétation sensuelle, dans les graves, pour l’une d’elles. Dans ce plaidoyer pour l’amour contre les turpitudes de notre monde, elle est soutenue par Guy Nikkels (guitare) qui se distingue parmi les instrumentistes par sa virtuosité et sa sensibilité.

Lisa Simone à Jazz en baie

Lisa Simone, My World : du rythme et de l’émotion
Lisa Simone fait une entrée en majesté, drapée dans un châle multicolore, avec « Tragique Beauté », écrit en hommage à sa mère, et « Ode to Joe », deux titres de son dernier album My World (Sound Surveyor Music / L’Autre Distribution, 2016). Son talent s’affirme avec plus d’assurance dans ce nouvel album et le concert de ce soir en sera une preuve supplémentaire.

L’interprétation de « Ain’t Got No, I Got Life », un titre de Nina, donne le frisson avec ses graves somptueux et le solo d’Hervé Samb (guitare). Ce titre forme un diptyque avec « If You Knew » que sa mère avait écrit pour elle en 1965. La beauté du chant intimiste et du texte est bien mise en relief par le jeu sur les silences. Ce dernier album est décidément placé sous le signe de l’intime puisqu’on y trouve aussi « This Place », chanson que Lisa a écrite sur la dernière demeure de sa mère où elle-même a choisi de poser ses valises. Cette ballade très personnelle est délicatement ponctuée de quelques notes de guitare, de légers accents de mailloches déposés par Sonny Troupé sur ses cymbales et de discrets accords joués par Reggie Washington à la basse. Il faudrait y ajouter « Unconditionally », dédié à sa propre fille et « My World », le titre éponyme du disque, dans lequel, assise au bord de la scène, elle brosse le portrait du monde dont elle rêve et où elle nous invite à la suivre. La puissance de sa voix, son large ambitus et sa force dramatique dans « Expectations » sont mises en évidence par l’introduction méditative de Reggie Washington et le jeu sombre de Sonny Troupé qui fait sonner ses caisses comme des tambours.
L’autre versant du concert et de l’album, c’est son côté soul, rythmes dansants, couleurs contrastées… L’entrée d’Hervé Samb dans « Hold On » est véritablement tonitruante, accompagnée par la battue très ferme de Sonny Troupé. On retrouve l’énergie de la meneuse de revue que fut Lisa Simone. Le solo d’Hervé Samb y est digne d’un guitar hero, il récidive deux ou trois fois pendant le concert. Dans une sorte de long intermède, on retrouve le jeu de Sonny Troupé qui imite des tambours polyphoniques, héritage du ka guadeloupéen, avant de redevenir le magicien des rythmes et des sons que l’on connaît.
Inutile de dire que l’enthousiasme du public va croissant et qu’il atteint son sommet quand, fidèle à son habitude, Lisa Simone descend se mêler très longuement aux spectateurs, sur la pelouse du Jardin Dior.
Ainsi s’achève en beauté mon parcours dans un festival qui assume sa diversité et conquiert, chaque année davantage, le public local, régional et au-delà.