Portrait

Lee Konitz : cool frénésie

Hommage au saxophoniste alto Lee Konitz


Seul Lee Konitz pouvait se targuer d’avoir un musicien qui l’attend dans chaque club. Des partenaires, il en a multipliés, sans jamais s’attacher à une formation fixe. Aller à la rencontre de nouveaux musiciens et de nouveaux univers fut le fil conducteur d’un long parcours de plus de soixante-dix ans. Car le jazz n’aime pas le confinement. On ne progresse et on ne trouve sa voie qu’au contact de l’autre.

Lee Konitz © Yann Renoult
Lee Konitz

Un inventaire à la Prévert de ses partenaires en ferait rêver plus d’un. La liste de ses pianistes recouvre presque un pan entier de l’histoire du jazz. De Lennie Tristano à Brad Mehldau, Konitz permet de tisser un fil entre des univers musicaux très différents (Michel Petrucciani, Paul Bley, Bill Evans, Kenny Baron, Martial Solal). On pourrait faire de même avec ses autres compagnons de route, mais les pianistes sont restés ses interlocuteurs privilégiés. Tristano, le premier, a été son mentor dans les années 1940 et lui a mis le pied à l’étrier. Tristano, l’orthodoxe du jazz pourfendait à cette époque les musiciens comme Coltrane, Rollins, trop enclin à ne jouer que sur l’émotion au détriment du feeling. Auprès de lui, il a gravé ses premiers disques, s’est forgé un style et un son. Une sonorité mate, sans vibrato. Il s’est interdit de copier la sonorité de Charlie Parker, trop de monde l’avait fait avant lui. Ses préférences allaient à des saxophonistes plus raffinés, aux sonorités plus sophistiquées : Johnny Hodges, le protégé de Duke Ellington et Lester Young. Tristano l’a encouragé dans cette voie à contre-courant et l’a sensibilisé à la place de la mélodie et de l’harmonie. Puis les deux hommes se sont brouillés et Konitz a pris son envol.

Konitz était toujours resté fidèle à sa manière de jouer le jazz

Son premier concert datait de 1946. Trois ans plus tard il enregistrait Birth of the Cool auprès de Miles Davis. L’étiquette « cool » lui collait désormais à la peau. On peut dire qu’elle lui allait très bien. Il n’y a qu’à le voir riant aux éclats en compagnie de Wayne Marsh sur la pochette de leur disque en 1955. Depuis ses débuts, Konitz était toujours resté fidèle à sa manière de jouer le jazz, sans trop se soucier des modes, des nouveaux courants. Improvisateur de grand talent, il se frottait volontiers à des musiciens de free-jazz. À leur contact, la magie opérait, il était comme un poisson dans l’eau. On pouvait ainsi voir en lui une sorte de passeur, une présence rassurante pour des fans avides de nouveaux mondes sonores. Konitz les prenait sous son aile pour les faire rentrer dans l’univers des groupes auxquels il participait, son saxophone en fil d’Ariane.

Auprès de ses vieux partenaires, il se bonifiait, et provoquait pour ses plus fervents admirateurs des moments de grâce, tutoyant le sublime en concert et sur ses nombreux disques. Années après années, les relectures de standards lui donnèrent encore et toujours des ailes pour improviser avec légèreté et fluidité. Konitz jouait beaucoup de standards, mais à chaque fois comme si c’était la première fois. Malgré ses multiples partenaires, il est resté fidèle à ses compagnons. Martial Solal le premier avec qui il jouait régulièrement depuis les années 1980, presque exclusivement en tête à tête. Mais Konitz aimait aussi la jeunesse. Au cours des dernières deux décennies, Konitz s’était également entouré de jeunes musiciens qui auraient pu largement être ses petits-enfants !
Peut-être le secret de cette belle et très longue vie.