Chronique

Lenny Popkin

Time Set

Lenny Popkin (ts), Carol Tristano (dm), Gilles Naturel (cb)

On retrouve l’esthétique chère à Philippe Ghielmetti et Arnaud Boubet (co-producteur avec le saxophoniste) dans cet album sorti sur le label Paris Jazz Corner, antre des collectionneurs, dans la série Lifeline records.

Ce Time Set commence en solo puis suit le travail en trio du formidable Lenny Popkin, toujours fidèle à la formule sax-contrebasse-batterie à laquelle il s’est essayé dès 1979 : il intervient sur six titres de sa composition avec, derrière les tambours, sa partenaire accomplie Carol Tristano, fille du pianiste Lennie Tristano, avec lequel il a entretenu une longue histoire. C’est Gilles Naturel qui tient la contrebasse et assure le soutien avec finesse.

Lenny Popkin est un saxophoniste rare, et pas seulement parce qu’il laisse faire le temps, justement, mais parce qu’il n’est pas un boulimique de la production d’albums. Il suit son rythme, s’inscrit dans une conception particulière du temps, l’étire, le condense, le suspend, le reprend, le laisse filer, en sachant qu’il y reviendra. Comme il revient à sa collection de disques chérie, devant laquelle il s’est laissé photographier.

En solo, il se régale et chante littéralement un fameux prélude de Bach. Car Popkin, dont le nom sonne déjà, a le chant en lui. François Billard, que cite Philippe Carles dans les notes de pochette, écrivait fort justement sur l’album précédent, New York Moment, que Lenny Popkin est « un organe vocal comme pouvait l’être Caruso ».

L’envolée qui démarre ce « Play » rappelle immanquablement certains standards que le saxophoniste a fait siens. Il aime toutes les chansons, en donne des volutes interminables, des rubans qui s’étirent. On a vraiment la sensation d’être ailleurs, au milieu de la musique même. Sans forcer le volume, en modulant. Philippe Carles entend ce qu’il nomme très justement le « fantôme de « Cherokee » » au début de ce fameux « Time set », qui « remet à l’heure » son actualité sans la classer, mais participe de cette étrange conception du temps popkinienne qui n’a rien de cyclique, si sa logique peut être parfois circulaire…
Qu’il se double, triple, ou démultiplie par la technique habile du réenregistrement, résonne toujours cette circularité de l’appel (« Call », « Andromeda »).

En trio, la musique respire, fluide et libre, s’improvisant à partir du souffle du leader, rythmé par le frémissement des cymbales, le léger cliquetis des balais et les ponctuations bien assénées de la contrebasse. Le tempo, toujours essentiel, nous entraîne dans le sillage de l’artiste, et on a la sensation de se libérer de l’espace-temps. Voilà pourquoi aucune musique ne peut se comparer à celle de Lenny Popkin. Quand, après le duo rythmique, le saxophoniste reprend la main, il nous étreint dans une spirale ascendante unique, en tempo médium, pour conclure cet « Andromeda », et c’est du grand art.