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Edition du 23 avril 2024 // Citizenjazz.com / ISSN 2102-5487

Les dépêches

Les adieux de Cortex

FONKADELICA.COM :
Interview d’Alain MION
coleader de CORTEX - Mai 2006

1) CORTEX est un groupe français, de funk/jazz funk actif pendant les 70’s
… pouvez vous nous en dire plus ? le présenter ? le concept ? L’origine du
nom ?

  • D’abord, l’origine musicale du groupe : j’avais en tête des courants
    représentés par des artistes ou des groupes aussi différents que Sergio
    Mendès, Chicago Transit Authority, Blood Sweat and Tears, Elis Régina, John
    Lee Hooker et mon maître Ray Charles. Ils avaient tous cet espèce de feeling
    inexplicable qu’on appelait Soul ou Funky dans le jazz des années 60, et qui
    était omniprésent chez Les McCann (avec ses 2 magnifiques sidemen Leroy
    Vinnegar et Ron Jefferson), Cannonball Adderley, Bobby Timmons, Lee Morgan ,
    Jimmy Smith, Wes Montgomery, Art Blakey et Jean-Luc Ponty ou Georges
    Arvanitas en France que j’avais eu la chance d’écouter très jeune.

J’avais du mal à me situer dans le paysage du Jazz français de l’époque dont
le public avait sifflé Coltrane et Cannonball à Pleyel… l’un parce que
personne ne comprenait son discours pourtant largement issu du blues et
l’autre parce qu’il avait le malheur de jouer binaire et …funky, et de
swinguer comme une bête !

Je souffrais d’une espèce de maladie de la liberté… ! et c’est la raison
pour laquelle j’ai créé très tôt mes propres trios et que j’ai écrit très
tôt mes propres compos !

L’idée du groupe m’est venu à la suite d’une première expérience qui
mélangeait voix, cuivres, piano éléctrique sur des rythmiques un peu
brésilienne et très jazz.

J’avais l’habitude de passer au Centre Américain du Boulevard Raspail à
Paris où j’ai rencontré Jeff Huttner et Alan Jaffe : tous deux partageaient
une culture comparable à la mienne, sans tabout de style (pas comme la
plupart des musiciens français de l’époque !). Ils sont devenus très vite
mes compères d’un trio piano, guitare, basse. Nous avons travaillé et j’ai
affiné mes compos. Alan est reparti aux Etats Unis quelque temps après et
Jeff et moi avons cherché un batteur qui auraient à la fois le feeling du
jazz et cet esprit funky que nous n’étions pas nombreux à partager : le jazz
rock.

Nous avons rencontré Alain Gandolfi qui partageait nos goûts éclectiques.
C’est ainsi que Cortex est né, en 1974, avec un nom qui à l’époque était peu
usité (depuis la percée de notre groupe, un tas de chanteurs, groupes et
maison de disques nous croyant probablement tous morts (!), ont repris ce
nom !!).

Le groupe a rapidement évolué d’un trio instrumental à un quartet avec sax
(Paul Louis Duhamel -ténor- d’abord et Alain Labib -alto- ensuite).
Puis sont arrivés les chanteuses (plutôt façon Sergio Mendès que Return to
Forever malgré ce qu’on en a dit).

2) Comment définissez vous le son de Cortex ?

  • Cortex a tellement muté pendant 7 ou 8 ans qu’il est difficile de parler
    d’un son, sauf à parler de mon amour des claviers et des basses Moog et des
    rythmiques hyper carrées d’Alain Gandolfi, dont je compare le travail de
    l’époque à celui de Stix Hooper ou Harvey Mason pour la précision et ce sens
    du swing, ce placement à l’intèrieur d’une rythmique binaire immuable.
    Mes compos aussi ont évoluées, de plus en plus mélodiques, et on ne peut
    comparer La Rue ou Mary & Jeff (de Troupeau Bleu) avec I Heard a Sigh ou
    Said I Do (de l’ Inédit ’79).

Ce sont les fans qui trouvent un son à un artiste, l’artiste lui, ne
s’entend pas de la même manière, se remettant en question ou se critiquant
pour avancer… ce que l’on a fait allègrement au cours de toutes ces
années, évoluant aussi au fil des nouvelles influences.

Pour moi, chaque album de Cortex est une nouvelle aventure et depuis Cortex,
chacun des albums que j’ai réalisé sous mon nom est différent. J’évolue sans
cesse : quel est le lien entre Phéno-Men, Alain Mion In New York, Some Soul Food
ou mon travail actuel avec le AM String Orchestra si ce n’est une touche
funky et ma passion pour des mélodies fortes ?

3) En studio, comment travailliez vous ? Quelle était la base de la
construction d’un morceau ?

  • On partait d’une idée mélodique que je trouvais seul, parfois au Fender
    Rhodes, parfois au piano acoustique ou sur le CP 70.
    Une mélodie, une grille d’harmos un bout de vocal et l’aventure commençait !
    On mettait un clic et on construisait le morceau grosso modo piano, basse,
    batterie et voix.

Ensuite on habillait. Parfois on refaisait un des instruments de base en
cours de route. Parfois, on refaisait tout ou on effaçait tout !!
Quand l’alchimie prenait, on allait jusqu’au bout et seulement une fois tout
terminé, Alain Gandolfi refaisait généralement la batterie, pour pouvoir
profiter des appuis des riffs ou des voix.

4) Pourquoi, ces inédits de 79, que vous présentez aujourd’hui, ne sont-ils
pas sortis à l’époque ?

  • C’est une bonne question ! Mais il faudrait plutôt la poser aux maisons de
    disques qui les ont boudés à l’époque ! La seule proposition qui nous a été
    faite n’était pas intéressante financièrement. Ensuite, l’autre Alain et moi
    nous sommes séparés artistiquement et nous avons vendu le studio et les
    machines. Ma carrière artistique a évolué dans une autre direction (tiens,
    tiens !) et c’est seulement avec les rééditions à succès des premiers
    disques de Cortex que nous avons pensé à confier cet album inédit à Next
    Music avec qui j’étais en contrat pour Cortex et les disques sous mon nom.
    Pas de chance ?… Next Music a déposé le bilan, (sans trop s’attarder sur
    les comptes de royautés d’ailleurs) et c’est à une rencontre fortuite avec
    Maxime Peron le A & R de Underdog Records que nous devons cette sortie
    retardée. Je ne vais pas m’en plaindre car Max est un type bien et un
    fonceur.

5) A l’époque, hors Cortex, avec qui avez vous joué ? travaillé ?

  • Comme je l’ai dit avant, je n’aimais pas trop jouer autre chose que mes
    propres compos. Mais j’avais fait auparavant mes classes en jouant dans les
    clubs de jazz comme le Blue Note ou au Centre Américain. J’ai eu la chance
    d’y jouer avec des musiciens de talent comme Hal Singer, Jacques Vidal,
    Daniel Humair, Philly Joe Jones, Jean My Truong et Hank Mobley.
    Mais par la suite, dans Cortex, et au fil des différentes formations, j’ai
    joué avec la plupart des meilleurs jeunes musiciens français de l’époque
    comme Alain Labib, Jean Grevet, Gérard Prévost, Dominique Carrier, Rémi
    Dall’Anéze, Marc Fosset etc.

6) Pourquoi chanter en anglais ? Choix marketing ? visée mondiale ?
esthétisme ?

  • Tout d’abord, allez bien jusqu’au bout du CD et vous trouverez une « Emily »
    qui même s’il s’agit d’une petite Anglaise est chantée en Français ! C’est
    un mélange de langues que nous avions aussi adopté pour le 3ème album de
    Cortex que nous avions enregistré pour Crypto / RCA (aujourd’hui BMG). Le
    son anglais se prête plus facilement à ces ambiances jazzy. Ma voix est
    différente selon que je chante en Français ou en Anglais. Ca aussi c’est
    intéressant.

Mais il ne s’agit pas du tout d’un choix marketing : d’ailleurs quand j’ai
enregistré en Français, le titre Levallois lors de mes séances à New York,
Dave Binney et Marc Johnson qui m’accompagnaient et David Baker, l’ingé son,
étaient sous le charme ; les Japonais ont fait un super accueil à Troupeau
Bleu (tout en Français) et lors d’une tournée en Chine, j’ai été ovationné
quand j’ai chanté en Français à l’Université de Dalian. Le mythe de l’anglais supérieur en musique n’existe plus que pour ceux qui veulent y croire ! Mais, bon, je crois qu’il faut chanter des paroles qui sonnent bien, c’est tout : si on ne trouve pas de paroles françaises qui sonnent, autant chanter en anglais (les textes sont moins durs à faire sonner).

7) Ne reste t-il plus du tout de morceaux inédits, de bandes cachées de
Cortex ? Est-ce vraiment la dernière édition et pourquoi ?

  • Allez savoir … !!

8) De nouveaux projets ? Parlez nous de vous aujourd’hui …

  • Actuellement je prépare un nouvel album mi solo, mi accompagné par mon
    quatuor de cordes : un mixing de jazz, d’ambiances funky et impressioniste
    et je pense touner avec ce spectacle l’an prochain, grâce au travail de mon
    nouvel agent, Hans Batschauer qui est aussi l’agent de Jean Luc Ponty et de
    Richie Beirach.

9) Que pensez vous du monde « funk » en france ? En écoutez-vous ? Qui ?

  • J’avoue ne pas avoir eu le temps d’écouter beaucoup de musique ces temps-ci
    (en dehors de la mienne !!), accaparé par les arrangements de mon nouveau
    répertoire. Je voudrais faire plus connaissance avec le travail de Schumann et j’ai
    redécouvert ce qu’on a appelé la West Coast (Martie Paich, Art Pepper, Mel
    Lewis, Chet Baker) qui sont actuellement mes disques de chevet…

10) Quels sont vos coups de coeur actuels ? Qu’écoutez vous ? Des idées pour
les amateurs d’aujourd’hui ?

  • Toujours actuels : les trios de Les McCann, Bobby Timmons, Martie Paich avec
    Mel Lewis et toujours le grand Ray Charles.

© FONKADELICA.COM (D.R.)