Les chants d’espoir de Valentina Fin
Rencontre avec celle qui fait de sa voix un champ d’expériences.
Valentina Fin © Giulia Capraro
Rien ne lui échappe : Valentina Fin est reconnue pour aller là où l’inédit se présente. Les répertoires du jazz, de la Renaissance et du baroque font partie de son parcours musical, sans oublier ses diverses expériences liées à l’improvisation. Norma Winstone, Sheila Jordan, Cristina Zavalloni, Stefano Battaglia ont marqué son parcours artistique. Ses différents albums offrent une diversité surprenante : du quintet Rame en passant par A Chi Esita, son dernier disque, ce sont diverses facettes d’une riche personnalité qui surgissent.
- Valentina Fin © Giulia Capraro
- Quelles furent vos motivations lorsque vous avez commencé le chant et qui vous a influencée en premier lieu ?
J’ai entrepris mon voyage musical très jeune, tout d’abord en me plongeant dans les cassettes audio de Mina et de Fabrizio De André qui appartenaient à ma mère guitariste. Lorsque j’ai décidé d’étudier la musique de manière structurée, je voulais apprendre le saxophone. À l’école de musique, on me conseilla la clarinette, mais pour un motif qui m’échappe, j’ai répondu que je préférais m’inscrire aux cours de chant. Avec du recul je pense que l’attirance de la voix m’a permis de m’exprimer de manière plus authentique qu’avec d’autres instruments.
La voix est pour moi le mode de communication le plus sincère, l’un des premiers avec lequel on s’ouvre au monde. Cette connexion spontanée et innée avec la voix est restée en moi comme une empreinte indélébile. Parmi les influences qui m’ont marquée, il y a les grands chanteurs italiens que j’ai entendus depuis mon enfance grâce à la passion de ma mère pour la guitare, des artistes comme De André, Lucio Battisti, Luigi Tenco mais aussi Mina. Si j’évoque le jazz, mon influence principale est sans hésitation Norma Winstone, ainsi qu’un large éventail de productions du label ECM.
J’ai ouvert les yeux sur la possibilité de créer des musiques sans ressentir le besoin de m’adapter excessivement aux demandes du marché.
- Vous avez étudié avec Norma Winstone, en quoi cela fut-il déterminant ?
J’ai eu la chance de participer à un séminaire estival à Merano qui m’a permis d’étudier plusieurs semaines avec Norma Winstone. Cette rencontre fut pour moi comme une illumination. Sa spontanéité et sa profonde humanité m’ont conquise d’emblée. Je l’ai autant appréciée pour sa personnalité que comme chanteuse extraordinaire. J’ai découvert une âme pure et belle, je pense que son authenticité se reflète de façon tangible dans sa musique. Étudier avec Norma m’a offert l’occasion de réfléchir à la façon d’aborder les textes, à l’intentionnalité avec laquelle je m’immerge dans les mélodies. J’ai ouvert les yeux sur la possibilité de créer des musiques sans ressentir le besoin de m’adapter excessivement aux demandes du marché. L’enseignement de Norma m’a procuré un soutien et m’a encouragée à me définir comme artiste, ce qui m’a permis d’entamer mon parcours jusqu’à aujourd’hui.
- Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à entreprendre votre projet dédié à Kurt Weill ?
J’ai commencé à explorer le répertoire de Kurt Weill lorsque je prenais des leçons avec Cristina Zavalloni alors que je m’orientais vers la musique contemporaine. C’est durant cette période que j’ai découvert Kurt Weill et j’en suis tombée amoureuse. Dans le jazz, nous connaissons certains morceaux qui sont devenus des standards comme « Speak Low », mais durant sa période américaine, Weill a composé beaucoup d’autres chansons intéressantes. J’avais envie d’expérimenter avec un groupe proche de la musique de chambre qui s’adapterait à mon style et l’occasion de travailler sur Weill fut l’opportunité parfaite ! Dans ce projet j’ai inclus des morceaux originaux que j’ai composés en m’inspirant des poésies de Bertolt Brecht.
- Valentina Fin © Giulia Capraro
- Cristina Zavalloni et Stefano Battaglia demeurent des références importantes dans votre parcours musical ?
J’admire Cristina avec laquelle j’ai pris des leçons de chant, sa technique vocale impeccable et son extraordinaire puissance expressive, nous avons travaillé intensément. Chaque leçon avec elle m’a enrichie et m’a apporté de nouvelles idées afin de réfléchir à la façon de m’améliorer. Je n’arrêterai jamais d’étudier avec elle. Stefano Battaglia est une grande référence pour moi. J’ai travaillé un an avec lui dans ses laboratoires permanents de la Siena Jazz Academy. C’est un artiste complet et collaborer avec lui m’a permis d’explorer de nouvelles dimensions dans ma créativité en me mettant constamment à l’épreuve. Il m’a encouragée à improviser et à reconsidérer mes projets. De plus, il m’a aidée à reformuler ma façon de concevoir l’art et m’a fourni les éléments nécessaires pour accentuer mon développement personnel.
- Pouvez-nous parler de votre travail inspiré par Marina Abramovic ?
Durant une visite à Florence pour visiter son exposition avec une amie, j’ai acheté un poster de son An Artist Life Manifesto qui a donné son titre à mon premier album inspiré par elle. Durant la pandémie, je passais beaucoup de temps au piano et le poster était fixé au dessus de l’instrument, face à moi. Souvent, il se détachait du mur et tombait sur le clavier du piano. À un certain moment, j’ai interprété cela comme un signe, cette œuvre d’art constituée par 18 aphorismes sur la vie de l’artiste semblait m’interpeller et me dire : crée quelque chose avec moi !
Dans mon dernier album A Chi Esita et dans le disque manifeste avec Stefano Battaglia, j’ai intégré des rappels de cette œuvre. Nous avons travaillé en sextet avec Stefano sur les 18 aphorismes en les déstructurant et en les reconstruisant sous une forme musicale. Ce fut intrigant et conceptuel, en ligne avec l’esthétique de Marina. Ces textes explorent le rapport profond de chaque artiste avec sa vie, l’amour, la mort et sur d’autres aspects tels que l’attachement aux objets. Chaque fois que je lis ces textes, je ressens une implication personnelle très forte et c’est pour cela que je les ai intégrés dans mon travail : ils capturent et reflètent les expériences humaines de manière authentique et si puissante que je me sens profondément inspirée.
- Vous avez vécu une belle expérience au Ronnie Scott’s à Londres ?
Me produire au Ronnie Scott’s fut une expérience inoubliable. J’ai eu cette possibilité grâce au prix que j’ai gagné au Riga Jazz Stage en 2022 : il m’a permis de réaliser ma première tournée européenne, qui s’est conclue dans ce club qui est la Mecque du jazz. Je suis heureuse d’avoir pu communiquer avec le public attentif puisque j’avais interprété ma musique avec mes textes en italien. Avec Luca Zennaro, le guitariste de la formation, nous avons passé plusieurs jours à Londres pour rencontrer des artistes locaux. J’espère avoir une étape à Londres durant ma prochaine tournée en Angleterre en novembre : c’est une ville stimulante.
- Valentina Fin © Giulia Capraro
- Pouvez vous évoquer votre dernier album sorti A Chi Esita distribué par Egea ?
C’est le disque auquel je tiens le plus. Cet album évoque la découverte et la conscience d’être une artiste. Vivre dans le milieu artistique est un risque qui nous fait hésiter, les questions demeurent. Fait-on le bon choix ? Est ce que j’ai vraiment quelque chose à dire ? Suis-je bien ou nulle ? Cet album représente mon travail intérieur, ce fut un voyage de recherche à la découverte de mon identité artistique. Le groupe est composé de Luca Zennaro à la guitare, Marco Centasso à la contrebasse, Manuel Caliumi au saxophone alto et Marco Soldà à la batterie. Il y a huit morceaux originaux avec de longues pièces structurées laissant de la place pour improviser et des pièces brèves intermédiaires. Les textes sont inspirés par des poésies. La voix y est pensée pour se mouvoir avec une extrême légèreté et une certaine désinvolture, tout en créant des jeux aériens afin de tisser de larges trames entrecroisées grâce au solide interplay avec les autres instruments. A Chi Esita est une invitation à l’écoute, avant tout de nous mêmes, un désir de participer au monde qui nous entoure afin de retrouver les réponses qui tendent à disparaître à cause de notre instabilité existentielle.
- Quelles règles suivez-vous afin de maintenir vos extensions vocales ?
Cette question est très intéressante et m’interpelle car elle reflète ma focalisation actuelle, comment je dois m’investir afin de préserver et maintenir en bonne santé cet organe naturel, la voix. Depuis quelque temps, j’ai développé un exercice régulier d’échauffement vocal que j’exécute à peine réveillée le matin, avant de prononcer une seule parole. Cette pratique comprend une série d’exercices recentrés sur la voix, la respiration et la méditation. Je désire exprimer ma profonde reconnaissance à mon enseignante, Serena Ferrara qui m’a guidée et soutenue dans une période cruciale pour ma santé vocale. Je ne peux que vous confirmer l’importance de maintenir un niveau d’hydratation élevé, boire beaucoup d’eau est essentiel !
- Quels sont vos projets pour 2024 ?
C’est une année importante et bien remplie. J’ai remporté le programme Nuova Generazione Jazz de I-Jazz, je serai en tournée en Italie et en Europe avec mes musiques. Avec mon projet Cohors, outre l’Italie, nous serons à Rotterdam, Valencia et Nottingham. J’ai différents concerts prévus avec un ensemble de musique ancienne, une autre de mes passions ; en mai nous exécuterons la Passion selon Saint Jean de Bach dans le prestigieux Teatro Olimpico. Toujours en mai, je m’investis dans une résidence artistique avec Federica Furlani afin de développer un duo électronique et voix, il y aura aussi des collaborations multidisciplinaires avec la chorégraphe Camilla Monga. Je fais partie de Aiku, le centre de recherches de l’université Ca’ Foscari de Venise sur l’Art, l’Entreprenariat et la Culture. Je travaille intensément dans la programmation musicale et avec la direction artistique de l’association Bacàn que j’ai fondée depuis l’obtention de mon diplôme en management culturel. Dans ce secteur, l’année 2024 s’annonce riche de projets enthousiasmants et j’espère pouvoir continuer ce travail autant du point de vue artistique que managérial, c’est un idiome dans lequel je me sens pleinement dynamique et investie.