Tribune

Les chiens ne font pas des chats !

A la question, stupide, souvent posée : le jazz est-il mort ? Il faudrait, en fait et c’est plus rigolo, se poser la question : qu’a enfanté le jazz ?


A la question, stupide, souvent posée : le jazz est-il mort ? Il faudrait, en fait et c’est plus rigolo, se poser la question : qu’a enfanté le jazz ? En l’occurrence, je rentre d’une plongée en apnée, volontaire certes, du visionnage de La nouvelle Star sur la sixième chaîne française. Nous sommes bien loin du jazz et des musiques improvisées ?… Pas si sûr.

En effet, outre les prestations et choix musicaux (imposés ou non par la production), bien supérieurs à ceux de n’importe quelle autre émission de télé-crochet en vogue, on trouve dans la promotion actuelle quelques énergumènes que d’aucuns désignent comme « jazzy » : une chanteuse belge à la voix épurée, tendue, qui tente de s’approprier quelques titres de noblesse à imiter Helen Merrill - en vain puisqu’éliminée, une chanteuse toulousaine à la voix rauque, plus intéressante, qui se rapproche d’Amy Winehouse... et le jeune Benjamin.
Ah, le jeune Benjamin !

Chanteur en devenir, féru de musique, passionné, polyvalent, il est capable de beaucoup de choses. Vocalement, il passe de Frank Sinatra à James Brown sans sourciller. Musicalement, il connaît ses classiques. Et curieusement, ses classiques sont aussi les nôtres (jazz, blues, funk, soul et j’en passe). On dirait qu’il a été bercé dans un univers où la couleur noire domine. Qu’il est initié, qu’il parle la même langue que nous. Comme si sa présence dans ce monde télévisuel et audimatique pouvait se rapprocher d’une forme de résistance, de camouflage.

Un camouflage parfois utile mais bien léger. Certes, il a les faveurs du jury de ce jeu, dont l’un des membres n’est autre que Philippe Manœuvre, rédacteur en chef de Rock and Folk, immense spécialiste du rock, de la pop et de la chanson et auteur incontournable d’interviews légendaires [1]. Mais aussi professionnel de la profession qui n’hésite pas, en direct, à adresser à son « confrère directeur de journal de jazz » [sic] et néanmoins père dudit Benjamin - et présent dans la salle -, le proverbe : « Les chiens ne font pas des chats ».
Et nous de ne savoir que faire.

Voter par texto surtaxé pour sauver le fils d’un éminent directeur de magazine de jazz (et néanmoins confrère) ? Sauver l’histoire du jazz en consacrant l’un de ses descendants ? Apporter notre soutien sans faille à l’un de ceux qui, nourris de blue notes et de swing, en sont morts de faim ? Ou simplement regarder le père, fier, nu dans cette fosse hystérique et télévisuelle, trembler pour l’avenir de son fils, élevé au Jazz Magazine et à la Muziq ?

Vaste question. Mais que penser d’une émission en direct, sur une chaîne hertzienne française, à une heure de grande écoute qui passe des chansons de Louis Armstrong, Nat King Cole, James Brown… et en raconte l’historique avant diffusion ? Que penser finalement, d’une bande d’allumés qui insistent pour expliquer que tout ça vient du blues : le jazz, le rock, la soul, le funk, la pop, etc… Certes ce n’est pas Mezzo qui retransmet un concert de Miles Davis, mais ça change de la soupe habituelle…

Et tout benjamin qu’il est, il porte sur ses épaules le poids terrible d’un héritage musical fantastique - et celui, aussi, de son père…

par Matthieu Jouan // Publié le 10 avril 2008

[1À lire : Dur à cuir, Albin Michel