Scènes

Les trajectoires de l’O.R.B.I.T.

Compte rendu de deux concerts : le vendredi 17 mai au Pannonica, le vendredi 24 mai au Petit Faucheux.


Photo : Gérard Boisnel

Succession de cinq dates pour le trio conduit par Stephan Oliva, Sébastien Boisseau et Tom Rainey pour la sortie du disque paru chez Yolk. Passant par Arles, Paris ou Marseille, les trois musiciens donnent à entendre une musique en mouvement permanent. L’opportunité d’assister à deux dates, Nantes et Tours, permet d’ajuster l’écoute. Elle révèle une capacité à renouveler leur approche sans bouleverser les fondements de leur univers.

A chaque salle sa configuration. Le Pannonica, souterraine, plafond bas, chaises et tables installées devant une scène étroite. Le Petit Faucheux et son format auditorium, grand plateau et fauteuils rembourrés. Les deux ont leur charme et induisent un rapport différent au son que le trio ne manque pas de s’approprier. Reprenant l’intégralité du répertoire du disque jusque dans l’ordre des titres qui s’apprécie comme une suite, la formation ne prend pas le temps de se chercher. Le tracé des morceaux structure la feuille de route. Les trois partenaires les font immédiatement sonner à plein en sollicitant l’ensemble de leur potentialité.

Le jeu des différences d’un concert à l’autre est bien sûr plaisant, nous y viendrons. Celui des similitudes l’est tout autant. Le propos ne s’éparpille pas en contours variables selon les soirs mais conserve cette forme unique dans laquelle seuls les rapports entre les extrémités du triangle changent et tournent à plein régime.

Stéphan Oliva, photo Christophe Charpenel

Ce mouvement stimule l’oreille qui écoute autant que le musicien qui joue. Là, Stéphan Oliva lance des traits soudains qui traversent l’espace dans une fulgurance. Ici, la basse de Sébastien Boisseau, pleine d’elle-même, prend le relais du chant sans avoir à justifier sa mise en avant. Chacun est garant de l’ensemble et tout tient ainsi. Tom Rainey, de son côté, associe la batterie à la main gauche du pianiste puis aux cordes de la contrebasse, pousse en avant ou les entraîne à sa suite.

mettre l’ensemble des modalités de jeu en variations permanentes

Bien sûr, les lieux, le public, les soirées différentes induisent une autre poésie. Le titre “Around Ornette” et ses voix qui prennent - justement - des voies si différentes, gagne en force dans la dureté du Pannonica et oblige à chacun à se bousculer un peu plus. “Obsessione” se résout dans un final pointilliste où les nuances trouvent la dimension d’une constellation devant l’assistance attentive du Petit Faucheux.

L’intérêt d’O.R.B.I.T. est dans ce jeu essentiel : mettre l’ensemble des modalités de jeu en variations permanentes. Dans les détails, tout se joue, l’énergie est le liant. Elle traverse le groupe et pénètre à des endroits différents, toujours inattendus. L’étincelle qui embrase cette énergie, c’est l’interplay. L’écoute attentive, le relais, les rebonds redéfinissent les positions et obligent l’auditeur à garder entière son attention pour ne rien perdre de ce qui se passe sur scène. Voyez ce groupe mille fois, mille fois les ressentis seront différents.

On renoue ici avec la pratique première du jazz. Celle qui donne la primeur, au sein d’une composition structurante, à une vitalité qui trouve sa force dans l’instant collectif de la création. Débarrassés des vieilles formules au bénéfice d’une création croisée permanente, Oliva, Boisseau, Rainey se réapproprient cette histoire ancienne avec l’enthousiasme du présent et prennent - c’est visible à l’œil - autant de plaisir qu’ils en procurent.