Scènes

Les voyages de NJP au chapiteau de la Pépinière

Chroniques #NJP2016 – Chapitre 2
Jeudi 6 octobre, Chapiteau de la Pépinière. Schwab Soro, Istanbul Sessions, Ibrahim Maalouf.


Ibrahim Maalouf © Jacky Joannès

Il est venu présenter son dernier disque, Red & Black Light, en grande formation. Le public a répondu massivement à l’appel d’Ibrahim Maalouf qui lui a offert un grand spectacle pendant deux heures. Ce qui ne saurait faire oublier le jazz ludique et intimiste du duo Schwab Soro ni même l’esprit voyageur d’Ilhan Ersahin et ses « Istanbul Sessions ».

Ibrahim Maalouf a, en quelque sorte, son rond de serviette à la table de NJP. C’est son quatrième passage en quatre années consécutives et, outre la promesse d’un grand spectacle, l’assurance pour toute l’équipe organisatrice d’une forte affluence. Pas de raison de s’en priver, donc. Cette fois, le trompettiste est venu présenter le répertoire de Red & Black Light, disque sorti à l’automne 2015 conjointement avec Kalthoum. Présenté comme électro pop, mais reposant sur des compositions aux rythmes complexes en provenance des musiques orientales, le disque se veut une ode à la femme d’aujourd’hui et un message d’espoir pour un avenir meilleur grâce à elles. Difficile d’aller contre une telle ambition tant notre époque est pesante de violences répétées un peu partout dans le monde. Sachons gré à Ibrahim Maalouf de porter cette belle parole.

Le quatuor ayant enregistré Red & Black Light est là : aux côtés d’Ibrahim Maalouf, François Delporte à la guitare, Stéphane Galland à la batterie et Éric Legnini, debout derrière son clavier, casque sur la tête et magnifiques chaussures rouges, prennent les choses en main. Ils seront vite rejoints par le fidèle Franck Woeste (claviers), Antoine Guillemette (basse) et une triplette de soufflants (dont Youenn Le Cam qui ne manquera pas de faire sonner sa cornemuse en fin de concert). Soit une configuration très voisine de la formation vue ici-même à l’époque d’Illusions en 2013. Un groupe XXL, une puissance sonore impressionnante et une scénographique façon grand spectacle qui vont transporter un chapiteau plein comme un œuf, comme aux plus beaux jours. Il n’y a plus une seule place sur les gradins dont les escaliers sont occupés du premier au dernier rang ; côté parterre, c’est la même chose. Maalouf est ici maître de cérémonie : il joue de la trompette bien sûr, mais pas seulement. Il chante, s’empare d’un clavier, se fait parfois percussionniste et parle beaucoup, beaucoup au public pour lui fournir quelques explications (que chacun connaît) et lui demander de participer. Deux heures sans répit, jusqu’à minuit passé en forme de feu d’artifice. Le trompettiste a changé de catégorie, il n’est plus ici question de jazz, même relevé de saveurs orientales : l’ambition de sa musique est d’être « transparente et limpide, sur laquelle le public peut même danser et chanter » et, ce faisant, accessible au plus grand nombre. Dont acte. Et de ce point de vue, la réussite est totale : il y a beaucoup de générosité dans un show réglé au millimètre (au point que parfois on aimerait un peu plus d’incertitude) pour la réalisation duquel la présence du sorcier Legnini est essentielle. On connaît le pianiste depuis longtemps, on sait qu’il est aussi devenu un producteur avisé d’une redoutable efficacité, qu’il met ici au service de cette entreprise en souffle majeur.

Face à ce déferlement, tout au plus pourra-t-on – au risque de nous faire passer pour de mauvais coucheurs – regretter quelques fautes de goût. Comme certains arrangements à la limite du kitsch, ou ces quelques minutes au piano introduites par une imitation de Patrick Bruel ou encore l’insistance à faire chanter le public durant de longs moments. C’est la règle du jeu, semble-t-il dans tous les spectacles dits de variété. Se pose alors la question : en être ou ne pas en être ? La réponse est sans ambiguïté : oui, le public en était, hier soir, et massivement. A quelques exceptions près, sans nul doute, mais ainsi va la vie de la musique. À chacun de la recevoir ou non.

Sur la platine : Red & Black Light (Mi’ster Productions - 2015)

Ibrahim Maalouf © Jacky Joannès

Dans un tel contexte, on imagine bien que la mission du duo composé de Raphaël Schwab (contrebasse) et Julien Soro (saxophone alto) n’était pas des plus aisées. Un sacré défi en effet que d’ouvrir la soirée et de concilier un jazz funambule, ludique et intimiste, avec la présence massive et bruyante du public qui n’avait par avance d’yeux et d’oreilles que pour Ibrahim Maalouf. Tirons notre chapeau à ces magnifiques artistes, car voilà bien deux musiciens aguerris (notamment du côté de Ping Machine) qui s’en sont sortis haut la main pendant près de quarante-cinq minutes : après avoir ouvert leur set par Thelonious Monk (« Ba-Lue Bolivar Ba-Lues-Are »), ils ont exploré avec beaucoup de légèreté et de virtuosité les compositions de Raphaël Schwab, celles qu’on peut découvrir sur Volons !, leur deuxième album qui verra très bientôt le jour chez Neuklang. Une écoute vivement recommandée et un disque, tout comme le concert, dont le point d’orgue est peut-être cette « Jolie valse joyeuse » qui, à elle-seule, définit parfaitement l’esprit d’une musique en liberté. Bravo Schwab Soro, nous avons bien volé avec vous !

Sur la platine : Volons ! (Neuklang - 2016)

Julien Soro, Raphaël Schwab © Jacky Joannès

Le menu était copieux hier soir. Entre deux extrêmes – le minimaliste d’un duo et le format extra-large du nonette d’Ibrahim Maalouf – le saxophoniste turquo-suédois Ilhan Ersahin, figure de l’undergorund new-yorkais qui possède son propre club de jazz à Manhattan, est venu glisser, non sans aplomb, ses Instanbul Sessions. La formule est assez simple : prenez une rythmique d’acier dont le bassiste gros son, Ismail Ersonmez, ne manque pas de réciter quand il le faut son abécédaire rock (Led Zeppelin, Queen, …), ajoutez une bonne dose de percussions, celles d’Izzet Kizil, laissez le saxophone ténor et sa réverbération survoler le tout. Vous êtes en voyage, « entre Istanbul et New York » à bord d’une embarcation qui avance droit devant elle, sans état d’âme mais avec une énergie très communicative. Cet électro funk puissant n’est pas sans faire penser parfois à l’Electric Epic de Guillaume Perret (la démesure et les effets sonores en moins), il est généreux et droit comme un i. Une excellente préparation à celui qui va suivre et embarquer tout le monde (ou presque) dans sa lumière rouge et noire.

Sur la platine : Night Rider (Nublu – 2015. )

Ilhan Ersahin © Jacky Joannès