Entretien

Linda Oláh

Entretien avec la chanteuse suédoise dans un presbytère rouennais.

Jeune chanteuse suédoise installée depuis peu en France, mais qui collabore depuis de nombreuses années avec des musiciens français, Linda Oláh est une personnalité forte de la scène européenne. Repérée comme binôme vocal d’Isabelle Sörling dans Cabaret Contemporain, elle se situe dans ces zones de création libre qui s’établissent aux confins des genres, là où jazz, électronique, pop voire musiques traditionnelles n’ont cours que parce qu’il convient de trouver des étiquettes. Exploratrice des sons, à la voix comme aux machines, Linda Oláh est une musicienne hors-norme capable de définir des univers chamarrés, notamment avec nOx.3, avec qui elle participera à Jazz Migration en 2018.

- Linda, pouvez-vous vous présenter ?

On commence par la question la plus difficile ! Je suis une chanteuse, suédoise, qui vit depuis janvier 2017 à Paris, mais il y a plusieurs années que je suis entre la France et la Suède, depuis mon passage au CNSM. Tout cela a commencé par hasard : je suis arrivé à Paris avec mon mari de l’époque qui voulait absolument faire un échange Erasmus avec la France. Je n’en avais guère envie, j’aurais préféré Berlin où il se passait plus de choses dans la musique expérimentale qui me branchait à l’époque. Mais j’ai suivi quand même et nous avons été pris au Conservatoire. C’est un endroit où l’on rencontre beaucoup de monde, où les projets fleurissent. Même si je suis rentrée en Suède au bout de mon année d’Erasmus, j’ai commencé à revenir trois ou quatre fois par an pour des concerts. Une chose en entraînant une autre, je me suis vite retrouvée dans une position où je passe la moitié de mon temps à Paris... Et j’ai décidé de m’installer ! En France, je participe à la techno artisanale du Magnetic Ensemble et plus récemment à nOx.3.

- Lors de votre passage au CNSM, vous avez rencontré des musiciens comme le contrebassiste Ronan Courty ou Julien Loutelier, avec qui vous avez conservé des collaborations durables. Plus qu’un lieu d’apprentissage, est-ce un lieu de rencontre ?

Carrément ! J’ai beaucoup appris, évidemment. En plus, j’avais une position particulière du fait d’Erasmus : je pouvais choisir les cours que je souhaitais prendre... C’est spécial pour une chanteuse d’aller au Conservatoire, parce qu’il n’y a pas de professeur de chant. Ça m’a finalement poussée à visiter des champs encore plus expérimentaux - c’était une direction que je voulais prendre absolument à l’époque. Il était hors de question que je chante une mélodie, je ne sortais que des sons, des cris.

Linda Oláh © Franpi Barriaux

- Justement, on vient de vous entendre [1] avec Csaba Palotaï user d’une technique vocale proche de la note continue qui n’a pas dû être apprise au Conservatoire. Ce sont des rencontres avec des chanteurs traditionnels ?.

C’est une technique que j’ai développée, pendant un an après ma Licence au Conservatoire. Une époque où j’ai donné des cours de chant et où j’avais pas mal de temps, avant de préparer mon solo à l’occasion de la reprise de ma Maîtrise. Pour ce solo, je jouais, comme maintenant, avec beaucoup d’effets. A un moment, j’ai remarqué que certaines pédales que j’utilise sont des samplers ou des loopers et des delays qui prolongent le son. Je me suis dit qu’il devait exister une technique pour prolonger ce son naturellement. Il se trouve que je suis également violoniste et, bien que le son continu soit impossible pour une chanteuse, j’ai pensé que quelque chose d’équivalent à l’aller et retour de l’archet était possible. Je me suis mise à m’entraîner, à faire des essais devant ma glace ou dans la douche en inspirant et expirant... Petit à petit, j’ai trouvé une technique qui marchait bien, mais qui doit beaucoup se travailler. J’y ai passé deux années.

- Vous l’avez dit, vous êtes violoniste, mais vous avez, dans vos projets actuels, délaissé cet instrument pour la voix et les machines. Est-il envisageable de le voir resurgir dans le contexte où vous évoluez aujourd’hui en France ?

C’est un instrument qui est resté en en Suède. Je l’utilisais notamment, avec d’autres sons comme des sifflements dans un groupe nommé Dragspelssällskapet [2]. C’était un groupe imprégné de musique traditionnelle suédoise, mais qui écrivait sa propre musique. En terme de projets, tout ceci est derrière moi.

- Par ailleurs, vous avez toujours des collaborations en Suède, de manière plus épisodique : pouvez-vous nous parler de la scène de ce pays ? Je pense notamment à l’orchestre Charles 313...

Charles 313, nous jouons peu en ce moment, c’est toujours un problème d’agenda avec les musiciens. Il y a d’autres choses en cours en Suède, notamment un spectacle de danse avec six danseurs accompagnés par ma voix et de l’électronique. J’ai également avec Sthlmhs Svaga un projet de reprises de jazz, de Miles Davis à Wayne Shorter, mais jouées piano, pianissimo : tous les instruments, même les saxophones qui galèrent vraiment pour jouer cette musique très expressive, et moi qui chante très très doucement, bien sûr en acoustique. On a fait notre premier concert en décembre, ça crée une ambiance très particulière.

Linda Oláh © Franpi Barriaux

- Quelles sont les différences entre la scène suédoise et la scène française ?

Elles sont importantes, et c’est au final ce qui m’a attiré vers la France. Au départ, quand je suis arrivée ici, je ne comprenais rien. Notamment au Conservatoire, il y a un rapport très technique à la musique. Tous les musiciens maîtrisent leur instrument à la perfection, sont hyper forts en lecture, etc. Ce n’est pas du tout le cas en Suède ! Il y a bien sûr des musiciens incroyables, mais l’apprentissage est plus basé sur le ressenti, sur la recherche de sa voie. Par exemple, à Göteborg, après deux mois de cours, tu dois faire un solo. J’avais 18 ans, j’étais toute jeune, je n’avais jamais fait de musique vraiment à moi et c’est ce que les professeurs te demandent. Tu dois trouver ton chemin. Ici, tu dois bosser les standards, le faire bien, et les projets sont en dehors de l’école. Ça influe forcément sur la manière de créer de la musique.

- Comment avez-vous pris possession, en tant que chanteuse, de toutes les machines que vous utilisez, tant pour votre solo que pour d’autres projets comme avec vos camarades de nOx.3 ou le Magnetic Ensemble ?

Ça a commencé avec le solo, parce que je suis violoniste et absolument pas pianiste et je voulais m’accompagner avec un instrument. La première machine a été un looper, mais je suis tombée dans les pièges de l’appareil, où tout tourne logiquement en rond. J’essayais de trouver des moyens de « tricher » afin qu’on entende pas les boucles. J’ai rajouté des samplers qui me permettaient de démultiplier la voix en jouant avec, de jouer avec mes propres sons comme on le ferait d’un piano ; choisir les timbres, leur longueur, etc.

Il y a des rituels, des chemins trouvés avec certaines pédales qui permettent de coller au plus près de ta propre vision du son.

- Quand on est chanteuse, est-ce qu’on n’a pas un peu peur de se perdre dans les machines ?

Carrément ! Il y a un équilibre à trouver qui est toujours remis en cause, même maintenant où je peux me retrouver perdue. Il y a toujours une pédale à laquelle tu t’attaches, et puis une autre à intégrer, qui peu à peu en remplace d’autres... Il y a des rituels, des chemins trouvés avec certaines pédales qui permettent de coller au plus près de ta propre vision du son.

- Vous discutez beaucoup, avec les guitaristes par exemple, des bienfaits de telle ou telle machine ?

Ca m’arrive de plus en plus, et pourtant je ne suis pas du tout une geek ! J’ai toujours trouvé ça étonnant, les guitaristes, comme Giani Caserotto avec qui j’ai beaucoup joué, qui connaissent tout. Je ne suis pas là-dedans, j’essaie d’entendre le son avant et de le reproduire, je ne suis pas dans un délire de chemin de pédales... Et dans ce cas-là, c’est génial d’avoir quelqu’un comme Giani ou d’autres, capables de te dire comment faire et de t’accompagner dans la réalisation. Mais pour moi, c’est le son qui commande avant la machine. Tous les sons que je crée avec mes pédales sont basés sur des techniques vocales. Ils peuvent être amplifiés ou façonnés avec les pédales, mais ils débutent toujours avec un son acoustique.

- Vous vous considérez comme vocaliste ou comme chanteuse ? Par ailleurs, écoutez-vous de la musique électronique ? »

C’est une question intéressante. Vocaliste, c’est plus large à mon avis. Je préfère. Quand à l’électronique, j’en écoute beaucoup aujourd’hui. Ce n’était pas le cas avant de faire mon solo, mais je me suis retrouvée à le jouer dans des lieux qui produisaient beaucoup de musique électro-acoustique. Je me suis rendu compte que je n’y connaissais rien, venue de mon univers plutôt free jazz. J’ai découvert et j’écoute plein de choses. Mon coup de cœur en ce moment n’est cependant pas électronique : c’est le guitariste suédois Finn Loxbo, qui peut passer de l’expérimental à des choses vraiment très pop.

Linda Oláh, Rémi Fox © Franpi Barriaux

Comment s’est faite la rencontre avec n0x.3 ? Comment votre univers a-t-il percuté le leur, a priori assez différent ?

C’est une longue histoire. J’ai reçu un mail de Matthieu Naulleau, le pianiste, que je connaissais un peu pour avoir joué avec lui dans le Umlywood Orchestra de Pierre-Antoine Badaroux. Mais il y avait une quarantaine de musiciens, et on avait à peine parlé. J’avais été aussi invitée aux Jazz Series de Umlaut et j’ai joué un hommage à Billie Holiday avec Matthieu. Dans le mail, il me proposait de me joindre à eux pour une petite tournée... J’étais enthousiaste, mais je ne pouvais matériellement pas faire de répétitions avant...« On improvisera sur scène », me répond-il ! Je suis donc arrivée de Göteborg où mon concert avec Giani Caserotto se terminait à 22 heures, par un avion qui partait tôt le matin pour arriver en train à Strasbourg. Mais dans le groupe, je ne connaissais que Matthieu ! J’arrive au concert, et c’est le saut dans le vide. L’expérience reste un excellent souvenir, on a connecté tout de suite, même dans ces conditions un peu particulières. Et sans qu’on s’en rende vraiment compte, à partir de ce moment-là, j’ai fait partie du groupe.

- On sent qu’il y a beaucoup de votre univers dans ce groupe, notamment lié au monde de l’enfance que vous avez apporté.

C’est peut-être quelque chose que j’ai apporté, mais ils l’avaient en eux, et c’est la direction qu’ils avaient envie d’emprunter. Ce sont des musiciens qui ont un véritable amour pour la musique d’aujourd’hui, la pop notamment.

L’objet-disque doit être quelque chose qu’on apprécie et qu’on souhaite montrer. Pas un truc que tu écoutes une fois et qui prend la poussière.

- Vous êtes par ailleurs une artiste pluridisciplinaire : vous vous intéressez à la danse, au graphisme, vous portez notamment un soin très particulier à vos disques...

Le graphisme, c’est une passion. Et c’est quelque chose auquel il faut penser aujourd’hui quand tu sors un disque. Pour l’objet disque, il faut envisager quelque chose de global : si ce n’est que pour le son, ça ne sert à rien. Quand j’enregistre, j’ai déjà en tête des images. Après, je peux travailler avec des graphistes ou même des architectes, comme pour la pochette de Belle. Il s’agit de reprendre possession de l’objet, et le considérer comme une œuvre en soi. L’objet-disque doit être quelque chose qu’on apprécie et qu’on souhaite montrer. Pas un truc que tu écoutes une fois et qui prend la poussière.

- Pourriez-vous justement aller vers des choses plus pop ?

S’il s’agit de mélodies, c’est peut-être ce que je fais avec Belle, qui reste néanmoins très jazz. Mais j’aurais du mal à m’inscrire dans quelque chose de figé, de très produit comme l’est la pop. J’ai trop besoin de liberté pour cela. Si je devais me projeter dans le futur, j’irais plutôt vers la recherche d’un équilibre entre les sons et les choses plus harmoniques, comme je l’ai déjà un peu fait avec Belle qui sera prochainement distribué en France et n’est pour le moment disponible que sur Internet. Mais je me régale, au présent, à participer à des projets très différents. C’est quelque chose dont j’ai besoin et je me sens particulièrement privilégiée.

par Franpi Barriaux // Publié le 11 février 2018

[1L’interview s’est faite dans le presbytère de la chapelle du CHU de Rouen, en marge des Sons Infinis, NDLR.

[2La Société de l’accordéon, en suédois.