Entretien

Lisa Cat-Berro l’enchanteuse

Rencontre avec une saxophoniste qui se lance dans l’aventure de la voix.

Lisa Cat-Berro © Gérard Boisnel

Elle est l’une des musiciennes de cette formation désormais historique qu’est le Lady Quartet de l’organiste Rhoda Scott. On savait son amour de la mélodie et sa manière singulière de composer des thèmes, pour elle ou pour d’autres, qui s’apparentent à des « chansons instrumentales ». On ne savait pas tout, en réalité… L’année 2021 sera-t-elle pour Lisa Cat-Berro celle d’un grand virage ?

Lisa Cat-Berro vient de publier chez Gaya Music son deuxième album, Good Days Bad Days. Huit ans après Inside Air. Si l’on retrouve autour de la saxophoniste la même équipe de musiciens, un changement majeur s’est opéré entre temps. Car la voici qui devient aussi chanteuse, sous l’influence notamment d’une certaine Joni Mitchell. Autant de bonnes raisons d’en savoir un peu plus et de mieux connaître cette musicienne qui accepte volontiers qu’on décèle en elle une part de romantisme aux accents spirituels.

Lisa Cat-Berro (et Laurent Payfert) © Serge Heimlich

- Une présentation en quelques mots : d’où venez-vous ? Depuis quand la musique est-elle entrée dans votre vie ? Pourquoi avez-vous choisi le saxophone ?

Je viens de la région d’Orléans et je fais de la musique depuis l’enfance : violon, piano, chorale, plein de choses différentes… De plus, mon papa écoutait beaucoup de jazz à la maison ; il animait une petite émission de jazz sur une radio libre des années 80. Nous avons été bercés par les grands classiques du jazz. Et puis j’ai eu envie de jouer du saxophone, sans doute attirée par le son de cet instrument dans les disques que nous entendions, Charlie Parker, John Coltrane surtout. Il y avait aussi les pochettes des vinyles, je trouvais ça très beau, ça m’impressionnait beaucoup. Ensuite, j’ai assez vite fait partie de groupes, comme des marching jazz bands ou encore le Big Band du lycée où tout de suite j’ai joué du jazz. Et j’ai eu la chance d’avoir un professeur d’histoire à Orléans, qui est un super saxophoniste – il s’appelle Jean-Jacques Taïb – et qui m’a bien coachée à l’époque. Ensuite, quand je suis arrivée à Paris, j’ai fait une prépa littéraire, Hypokhâgne et Khâgne, et là je me suis inscrite au Conservatoire du XIXe où j’ai rencontré Sylvain Beuf et André Villéger qui ont été mes professeurs.

J’avais aussi suivi des stages à Marciac quand j’étais au lycée. J’y avais connu François Théberge, et les enseignants du CNSM. Ensuite, j’ai passé le concours du CNSM où j’ai les ai tous rencontrés : François Théberge que je connaissais déjà, Glenn Ferris, Hervé Sellin, Riccardo Del Fra… Parallèlement à ça et même avant le CNSM, j’ai joué dans des groupes de jazz, de funk, de musique africaine ou des fanfares. Je me suis trouvée sur les routes, donc j’étais vraiment dans le bain très tôt. Jusqu’au jour où j’ai intégré le quartet de Rhoda Scott, vers 2005-2007. Au départ je remplaçais Airelle Besson qui n’était pas toujours disponible. Et pour finir, j’ai commencé à monter mes projets personnels, avec mon premier disque notamment, Inside Air, en 2013. Et voilà, aujourd’hui je vis à Paris depuis 20 ans et je fais ma vie de musicienne ici et ailleurs !

- Votre premier album, Inside Air, est sorti en 2013. Nous sommes en 2021. C’est une longue période. Bien sûr, il y a votre participation au groupe de Rhoda Scott que vous avez évoquée et dont nous reparlerons, mais pourquoi un laps de temps aussi long entre ce premier disque et Good Days, Bad Days ?

Tout simplement parce que j’ai connu de gros soucis de santé, un mal de dos très long avec une hernie discale. Ce fut une longue période où je suis beaucoup restée allongée, je ne pouvais plus faire de concerts. Cela a duré en tout deux ans et demi, voire un peu plus. Cela dit, à la fin de l’année 2015, nous avions déjà commencé à enregistrer les maquettes de Good Days Bad Days. Les morceaux étaient quasiment prêts, on les a bien sûr beaucoup retravaillés par la suite. Mais ce fut aussi une période prolifique à plein d’égards : j’en ai retiré beaucoup de choses à titre personnel et musical, j’ai écrit beaucoup de musique, j’ai commencé à composer pour d’autres. Comme par exemple pour le disque Broderies d’Armel Dupas. J’ai écrit des chansons avec des textes, certaines étaient prêtes avant, mais à un moment je me suis dit qu’il allait bien falloir les chanter, dans cette période où je ne pouvais pas forcément jouer du saxophone parce que mon dos me faisait trop souffrir. Je pouvais quand même travailler le chant et la voix, comme mon deuxième instrument et j’ai mis à profit cette période.

Quand j’en suis sortie, en 2018-2019, nous avons repris les répétitions avec le groupe, là où on avait laissé le travail, avec de nouvelles chansons qui étaient arrivées. C’est tout cela qui explique la durée. Ensuite… 2020, le confinement, toutes ces choses qui ont fait qu’on s’est dit qu’il ne fallait peut-être pas sortir le disque tout de suite. Nous avons attendu encore six mois, pour ne pas nous précipiter, pour voir si les choses allaient bouger un peu.

Quand j’ai commencé à écrire de la musique, des mots sont venus, en anglais, en français, j’avais envie de raconter des histoires et je ne voyais pas qui d’autre que moi pouvait les chanter.

- Cette fois, vous osez chanter. Au-delà des questions de santé qui n’expliquent pas tout, qu’est-ce qui vous a fait passer de la voix du saxophone à la voix humaine et oser franchir le cap important du chant ? Surtout qu’on sait qu’en France, le mélange des genres n’est pas toujours bienvenu. Vous prenez le risque de brouiller les pistes.

C’était en germe depuis longtemps. Parce que comme je vous l’ai dit, j’ai toujours chanté depuis mon enfance, on faisait ça en famille avec ma sœur, ma mère, c’est quelque chose qui était là, tout simplement. Je me suis consacrée au saxophone à un moment donné, j’ai beaucoup travaillé cet instrument avec lequel j’ai fait mon début de vie musicale. Et quand j’ai commencé à écrire de la musique, des mots sont venus, en anglais, en français, j’avais envie de raconter des histoires et je ne voyais pas qui d’autre que moi pouvait les chanter.

Plus le travail avançait, plus cela devenait des chansons. Parce que j’aime ce format, dans la pop, la folk ou la chanson française : je trouve qu’il permet plein de choses avec des contraintes de timing et d’arrangement qui restreignent le champ par rapport à quelque chose de très ouvert et de très instrumental.

Je pense aussi que les chansons sont une porte d’entrée, parce que le jazz est une musique qui a besoin de retrouver un public, de s’ouvrir. Ce n’est pas une croisade non plus de ma part, je ne le fais pas pour cette raison, mais c’est bien de savoir qu’on touche un public plus large. Après tout, ce n’est pas honteux de penser au public, de se demander qui va nous écouter. Prenez Rhoda Scott, elle vient d’une époque où le jazz avait un grand public, elle représente le jazz fédérateur qui touche les gens, qui remplit des salles assez grandes et rend les gens hyper heureux. Je ne dis pas que le jazz ce n’est plus ça, mais quand on joue avec elle, on a accès à ça et je me dis que cette génération jouait vraiment pour les gens et on le ressent dans son rapport au public.

J’ai travaillé aussi avec François Morel, nous avons fait deux spectacles. C’est aussi de la chanson française et quand nous étions en tournée, j’écoutais beaucoup les textes qu’il écrivait, ça me donnait envie, tout simplement. Alors lorsque nous étions dans le train, moi petite apprentie, je leur faisais lire mes textes et puis… voilà ! Et le fait que j’ai disposé de temps entre mon premier disque et le deuxième a fait que tout cela a pu grandir et j’ai pu laisser les choses aboutir.

- Chez vous, l’idée de mélodie est extrêmement présente. Vos compositions sont autant de chansons possibles. Je pense en particulier à celles que vous aviez écrites pour Broderies, le disque en piano solo d’Armel Dupas. Comment composez-vous et comment vous viennent ces « chansons » ?

En général, je me mets au piano et je commence à jouer des accords, des petits grooves, des trucs qui me viennent… et souvent une phrase arrive. Parfois, c’est juste du « yaourt », mais il y a une fin de phrase avec un mot, une formule, une sonorité que j’aime bien et petit à petit, je tire le fil. Et je me rends compte que ce premier mot ou ce premier bout de phrase qui est venu, c’est le germe d’une histoire, c’est la graine de quelque chose, ce n’est pas juste un mot qui vient parce que ça sonne. Et là j’essaie de construire un peu plus et je retravaille. J’ai du mal à écrire une mélodie sans accords au-dessous et si cela arrive, alors ce sera une mélodie un peu plus simple, qui va bouger un peu moins au niveau des harmonies et dans ce cas, ce sera un autre style.

- Sur Inside Air, vous repreniez « Old Man », une chanson de Neil Young ainsi que deux chansons de Joni Mitchell, « Little Green » et « Last Chance Lost ». Cette fois, il n’y a que des compositions originales, mais l’influence de la chanteuse vient à l’esprit en vous écoutant, et, au-delà, celle de toute cette musique américaine de la côte ouest des États-Unis pendant les années 70. Parlez-nous de ces influences majeures chez vous qui êtes jeune pourtant.

C’est vrai que je suis devenue très seventies avec le temps ! En fait, la musique que j’ai commencé à écouter pendant mon enfance, c’est le jazz des années 50 et 60, donc il est encore plus ancien. Alors pour moi, découvrir le rock, la folk, c’était déjà une avancée dans le temps ! J’ai découvert Joni Mitchell quand j’étais étudiante en prépa, par Frédéric Charbaut et la radio qui s’appelait Paris Jazz à l’époque. C’est l’une de premières fois où on m’a parlé d’elle. Ce fut une vraie rencontre. Tout était là : le timbre de la voix, la qualité des compositions avec la richesse harmonique, mais quand même ce format chanson dont je parlais tout à l’heure, qui cadre les choses mais en laissant de la place pour des surprises… C’est tout cela qui m’a donné le goût pour cette musique et les seventies, cette époque flower power. Je suis née en 1978, pourtant… mais c’est aussi parce que c’est une période très riche.

Alors voilà pourquoi j’aime Joni Mitchell… Surtout sa première période, guitare ou piano voix. Mais elle a une œuvre qui a évolué sans cesse : entre ses débuts et les disques des années 2000, il y a une telle évolution, c’est très impressionnant, d’un disque à l’autre elle avance dans le style. Elle est une influence importante pour moi. J’essaie, à ma manière, de faire du songwriting et je m’intéresse à cette école du folk américain et anglo-saxon, mais aussi de la chanson française, comme Véronique Sanson qui est un peu notre Joni Mitchell ! J’essaie donc de composer à ma manière les chansons que j’aimerais entendre, avec à la fois de la simplicité et en même temps de la richesse harmonique et instrumentale, avec de l’improvisation, un solo, de l’interaction, de la recherche dans le son. Les deux ne sont pas incompatibles selon moi.

J’essaie de composer à ma manière les chansons que j’aimerais entendre, avec à la fois de la simplicité et en même temps de la richesse harmonique et instrumentale.

- Quelles sont les autres influences qui vous nourrissent quand vous composez ? Parce qu’on entend souvent dans votre musique des accents impressionnistes, voire nostalgiques, qui peuvent faire penser aussi aux compositeurs de la musique française au début du XXe siècle.

Oui, exactement. C’est l’école française : Debussy, Ravel, Fauré, Satie… tout ce mode d’écriture un peu impressionniste et surtout les harmonies très typées de cette époque, avec des enchainements harmoniques, qui amènent à des œuvres comme Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns, avec par exemple des sauts d’un accord d’une tierce majeure à un autre, qui sont moins utilisés dans le jazz traditionnel où on trouve plus de marches harmoniques de type II-V-I qui ne sont pas dans la même stylistique.

Lisa Cat-Berro © Serge Heimlich

- Se pose désormais la question de la définition de votre musique : dans quelle « case » la rangeriez-vous s’il fallait la présenter à quelqu’un qui ne la connaît pas ?

Je ne sais pas… Jazz folk, folk jazz, avec des influences pop et rock aussi, je dirais que c’est de la musique instrumentale, mais qui cherche à avoir une couleur un peu folk, avec notre culture du jazz, de l’improvisation, du son, de l’interaction.

- Vous écrivez vos chansons en anglais. Pourquoi ?

Les premières sont venues comme ça, sans doute du fait d’avoir écouté Neil Young, Joni Mitchell et des songwriters anglo-saxons. Même si maintenant, j’écris aussi en français. Mais l’anglais n’induit pas pour moi le même genre de mélodies. En français, je vais écrire des chansons qui ressemblent plus à… de la chanson française et en anglais plus à de la pop ou de la folk. C’est ce que j’ai dans l’oreille, la sonorité m’amène plus vers un style ou un autre.

- On trouve sur Good Days Bad Days une composition qui s’intitule « Reincarnation » et dans laquelle on entend Juddi Khrishnamurti, un penseur indien. On peut supposer qu’il n’est pas présent sur le disque par hasard ? Est-ce que sa pensée entre en relation avec la vôtre ?

Dans ces moments où on ne peut pas bouger, à cause d’une douleur ou d’une maladie par exemple, ça aide de lire des textes en lien avec la pensée bouddhique, ou de faire des méditations. Après toute cette période d’immobilité, j’ai vraiment eu la sensation de renaître, de me réincarner en moi-même, comme si dans une vie on avait plusieurs vies, avec des passages et des cycles. On est obligé de se mettre un peu en jachère, on traverse une sorte d’hiver et ensuite le printemps revient, avec plein de choses qui ont eu le temps de germer.

J’étais inactive par la force des choses mais pas du tout dans ma tête : je lisais, j’écoutais la radio, de la musique. Et de voir que de tout cela viennent de manière très fluide de nouvelles idées et des compositions, c’est assez rassurant. Il n’y a jamais de temps perdu, en réalité. Alors oui, Juddi Khrishnamurti, ça fait partie des choses que j’ai pu regarder ou écouter ; et comme je cherchais une voix particulière qui parle de réincarnation, je suis tombée là-dessus. J’aime bien le collage d’une voix parlée, surtout quand il s’agit d’une vieille interview avec le son qui est un petit peu crade, qui a traversé le temps. En le mettant sur la musique, j’aime bien l’effet que cela produit. Sur Inside Air par exemple, j’avais déjà mis un discours de Churchill.

- À propos de collage justement : sur votre disque, l’actrice Anouk Grimberg dit un texte extrait de César et Rosalie, le film de Claude Sautet. Comment s’est effectuée cette rencontre et pourquoi ce choix ?

Ce film, c’est l’un de mes préférés, tout simplement. J’ai dû le regarder une quinzaine de fois, j’adore Claude Sautet, j’adore Romy Schneider… Et j’aime beaucoup cette lettre où elle parle à son amant absent, où elle lui raconte sa vie quotidienne comme si elle l’avait vu la veille alors que ça fait des semaines et des semaines qu’il ne répond pas à ses lettres. C’est assez poignant, c’est le thème de l’absence. Et dans le film, il y a de la musique derrière la lecture, ce qui produit un très bel effet. Mais je ne pouvais pas prendre la voix de Romy Schneider sans la musique, on ne peut pas les dissocier, cela aurait sans doute été compliqué. Alors je me suis dit que ce serait bien de proposer cette lecture à une comédienne. J’ai réfléchi un peu et il se trouve que mon ingénieur du son travaillait avec Anouk Grimberg pendant qu’on faisait le mixage et là je me suis dit : « Mais c’est évident ! Elle a une voix et une diction géniales ! » Je ne pensais pas qu’elle accepterait, mais il l’a appelée et elle a dit oui. C’est une comédienne avec une diction vraiment particulière, bien à elle. C’est exactement comme lorsqu’on fait venir un musicien soliste à qui on demande une improvisation et qu’on l’a choisi pour son son. C’est vraiment sa texture de voix qui me plaisait. Tout a été comme sur des roulettes… mais avec une comédienne de ce niveau, de toutes façons, ça ne pouvait pas se passer autrement ! Surtout que sur ce morceau, je savais dès le départ qu’à la fin, il me fallait un texte parlé et c’est pourquoi j’ai eu cette idée.

- Sur Inside Air, vous interprétiez une composition d’Armando Trovaioli qui était la musique du film d’Ettore Scola, C’eravamo tanto amati (Nous nous sommes tant aimés). Le cinéma est un art qui semble beaucoup compter pour vous ?

Je suis cinéphile comme beaucoup de gens, mais c’est vrai que dans le cinéma, il y a de grandes musiques et de très grands compositeurs, avec ce sens particulier que prend la musique dans un film, parce qu’elle lui est totalement indissociable. Les musiques sont extrêmement riches dans le cinéma français – mais aussi européen – des années 60 et 70. Je pense à des compositeurs comme Philippe Sarde, Georges Delerue par exemple… Cela me vient naturellement et comme j’ai ce désir d’utiliser la voix parlée, j’ai des idées qui me viennent spontanément.

- De quoi parlent vos textes en règle générale ? Il semble que l’amour soit très présent chez vous ?

Je pense qu’il y a chez moi une influence de la culture folk et romantique. Par exemple, dans « Water Girl », c’est le thème de la sirène et des grandes figures du romantisme. Cette chanson est aussi inspirée d’un livre qui s’appelle Femme qui court avec les loups, de Clarissa Pinkola Estés, qui offre une lecture psychanalytique de certains contes de tradition orale. Il y a notamment l’histoire d’une femme qui vit au fond de l’eau et qui sort à un moment pour vivre avec les terrestres et qui, finalement, revient à l’univers aquatique. Ça dit le passé, le futur, c’est aussi une figure de pythie. « Waiting For You », eh bien c’est l’attente de l’amoureux… Et les moments d’attente sont parfois propices à l’inspiration, ils donnent envie de dire des choses. Dans « Reincarnation », ce sont les cycles de la vie, comment on se réincarne plusieurs fois en une même vie, quand on fait une sorte de mue intérieure et puis, il y a la vraie réincarnation qui serait d’aller d’âme en âme. Ce sont des thèmes empreints de spiritualité, de figures romantiques et d’amour, même si « I Lost Your Love » en est le versant un peu triste et qui est une des premières chansons que j’ai écrites. Mais elle reflète des moments qu’on traverse et ensuite, la vie reprend ! J’aime beaucoup l’univers romantique français, avec une dimension de spiritualité, les poètes, l’iconographie de l’époque, ces figures de femmes, de noyées, de naïades, c’est une esthétique que j’aime beaucoup, qui vient aussi de l’univers de la musique celtique, dans la folk on vient un peu de là également.

- On retrouve sur Good Days, Bad Days les mêmes musiciens que sur Inside Air : Julien Omé (guitare), Stéphane Decolly (basse) et Nicolas Larmignat (batterie). Est-ce que vous pouvez nous parler un peu d’eux et de cette fidélité ?

Oui, évidemment, c’est une histoire d’amitié… Tout s’était tellement bien passé à l’époque d’Inside Air que j’avais envie de continuer dans la même couleur, de la creuser encore. Je les connais très bien, je savais donc en écrivant ce qu’ils pouvaient amener de leur côté. Surtout qu’ils ont fait du chemin entre temps. C’était comme une sorte de continuation, en allant encore plus vers un univers chanson et folk. Le premier disque était déjà dans cette veine, avec des « chansons instrumentales » et j’avais envie qu’on pousse le bouchon un peu plus loin pour aller complètement dans ce sens, en assumant des formes « chanson » avec des passages plus ouverts. C’était aller au bout de l’idée, vraiment.

- Vous faites partie d’une aventure assez extraordinaire qui est celle du Lady Quartet, aux côtés de Rhoda Scott. Une belle histoire.

Comme je vous le disais, j’ai d’abord remplacé Airelle Besson qui jouait de la trompette, mais il s’agit d’un groupe féminin et il n’y avait pas forcément de remplaçante trompettiste. De mon côté, je jouais du saxophone alto et j’ai commencé par une période où je venais de temps en temps. Et puis la carrière d’Airelle a pas mal évolué et décollé, donc elle a quitté le groupe. Nous avons joué plusieurs années comme ça et pour le dernier projet en date, Rhoda a fait appel à toutes celles qui ont fait partie du groupe, les remplaçantes, les invitées et nous nous retrouvons avec un groupe plus étendu, une sorte de All Stars avec deux batteries, puisqu’en plus de Julie Saury, il y a Anne Paceo et nous sommes cinq soufflantes (Airelle Besson, Géraldine Laurent, Sophie Alour, Céline Bonacina et moi).

Nous sommes en train de préparer un disque avec ce groupe-là. Le Lady Quartet, c’est une très belle aventure, c’est vraiment la vie qui m’a offert la chance de pouvoir intégrer ce projet qui dure depuis longtemps, avec lequel nous partageons tellement de choses. Il y a eu beaucoup d’étapes, nous avons fait deux disques en quartet, c’est presque devenu un collectif. C’est vraiment chouette d’avoir cette petite famille, on se serre les coudes, on se donne des conseils, Rhoda est toujours là pour donner son avis, elle est une sorte de figure tutélaire. C’est génial de voir la carrière de chacune avancer, avec elle qui participe, parfois elle vient jouer dans les disques des unes et des autres. Par exemple, sur mon disque, elle a corrigé mes textes en anglais, mes prononciations ! Je lui ai posé des questions sur certaines formulations, j’ai corrigé pas mal de choses. Et pour la prononciation, j’ai demande des conseils à une amie chanteuse qui parle bien anglais. Surtout qu’il faut faire des choix pratiquement pour chaque mot : « Est-ce que je le prononce à l’anglaise, à l’américaine ou entre les deux ? »

- La musique africaine est également très présente dans votre parcours. Je pense en particulier au groupe Ayoka ou au batteur camerounais Brice Wassy avec lequel vous avez travaillé.

Oui, j’ai adoré ces deux expériences. En ce moment, il n’y a plus de live et je n’ai pas de groupe dans cette esthétique, mais à chaque fois que j’ai participé à de tels projets, ça m’a beaucoup intéressée, même si je ne me considère pas comme une spécialiste. Rythmiquement, on apprend plein de choses et j’espère pouvoir recommencer.

- On vous a vue également au Théâtre aux côtés de François Morel, avec le spectacle Le soir, des lions… notamment. Encore une histoire à la croisée des chemins ?

J’ai un ami qui s’appelle Antoine Sahler et qui fait de la chanson française, mais qui vient aussi un peu du jazz, il est pianiste. Il est le compositeur de François Morel qui, de son côté, écrit les textes. Il m’a appelée pour faire partie de ce premier spectacle. C’était un poste de multi-instrumentiste, il fallait jouer une peu de saxophone, de flûte, des claviers et le fait que je joue un peu de trombone aussi était le petit plus qui faisait que j’étais intéressante pour lui, pour pouvoir varier les timbres et les orchestrations.

Ce fut une super aventure, trois ans de spectacle, il y a eu un disque, puis un deuxième spectacle qui a démarré en 2016. J’en ai raté une partie à cause de mes problèmes de dos, mais j’étais quand même là pour l’enregistrement du disque, pour la création et pour toute la deuxième tournée. Ce n’est pas l’univers du jazz, mais ce sont de belles expériences. Voir comment ils travaillent tous les deux, comment François écrit ses textes, ses chroniques, sa facilité dans l’écriture des mots et des chansons, la précision dans les arrangements, quand chaque choix d’instrumentation compte pour servir le propos, c’était très instructif. Nous échangions là-dessus, de temps en temps je leur montrais des idées de textes. C’était une bonne école, un univers très formateur.

- Quelles musiques écoutez-vous en ce moment ? Quels sont vos derniers coups de cœur ?

Actuellement, j’ai beaucoup de travail parce que j’écris des chansons pour enfants destinées à des livres audio. Heureusement d’ailleurs parce qu’il n’y a pas beaucoup de concerts… Mais pour répondre à votre question, je dirais Isabel Sörling. Qu’il s’agisse de son propre projet, Mareld, ou de celui avec le batteur Guilhem Flouzat, Turn The Sun To Green. C’est très folk et je trouve qu’elle a justement un timbre à la Joni Mitchell avec un très beau vibrato. J’ai écouté aussi Constantine, le disque des frères Ceccaldi : j’ai trouvé ça vraiment magistral en termes d’arrangements, d’univers. Avec tous leurs invités, ils arrivent à faire quelque chose d’assez incroyable. Et pour ce qui est du rapport entre texte et musique, il y a aussi le disque de Fred Pallem sur les Fables de La Fontaine avec des comédiens invités. J’ai adoré le traitement de la voix. Ce qu’il faut savoir, c’est que les comédiens ont d’abord dit leur texte et que lui a ensuite écrit la musique autour, qui de ce fait épouse vraiment la diction, c’est magnifique ! Fred Pallem est vraiment un très grand arrangeur. Voilà pour mes trois derniers coups de cœur.

Lisa Cat-Berro © Serge Heimlich

- Même s’il est difficile de savoir de quoi demain sera fait, pouvez-vous évoquer des projets ? Des désirs ? Des rêves ? Comment imaginez-vous l’évolution de votre travail, les formes que pourrait prendre votre musique ?

Actuellement, j’ai un projet en cours. Il s’agit d’un quintet de saxophones, avec basse et batterie et mes collègues saxophonistes : Géraldine Laurent, Sophie Alour, Céline Bonacina et une jeune sopraniste qui s’appelle Camille Maussion. C’est de la musique très écrite, très girl power si je puis dire, même s’il y a deux hommes, Timothée Robert et Guillaume Lantonnet à la basse et à la batterie. C’est très hypnotique, presque dance floor, mais avec un synthétiseur analogique des années 70. J’ai pris le parti de faire des sessions d’enregistrements filmées pour avoir tout de suite des images à montrer, dans le but d’enregistrer certainement un disque et bien sûr de trouver des concerts.

Pendant le confinement, je n’ai pas été très cliente des petits live Facebook. Il se trouve que j’avais de l’écriture et des arrangements à faire, par conséquent je n’avais pas forcément le temps. Bien sûr je comprends qu’on le fasse, ça peut donner des choses bien, mais je n’ai pas fait de la musique pour jouer devant un écran ou une salle vide. Ce qui ne signifie pas qu’on ne va pas trouver des formes intéressantes et qu’il n’y a pas des choses à faire. J’envisageais quand même un live Facebook pour la sortie de mon disque, pas forcément avec le groupe en entier, pour qu’il n’y ait pas de confusion possible avec un vrai concert de sortie que j’espère pouvoir programmer à l’automne ou cet hiver.

Pour le reste, j’écris beaucoup de musique ; j’ai commencé à écrire des chansons et des arrangements pour d’autres : j’espère creuser ce sillon de l’écriture de chansons au sens large, pour moi et pour d’autres. Mais c’est vrai que la problématique du live est compliquée parce que je pense qu’on est encore vraiment dans l’attente de la reprise et il est difficile d’inventer de nouvelles choses. Peut-être aurons-nous ensuite l’envie de construire de vraies formes de live par internet, mais ça demande du travail pour que le résultat soit bon.