Louis Sclavis
Les Cadences du monde
Louis Sclavis (cl), Annabelle Luis (violoncelle), Bruno Ducret (violoncelle), Keyvan Chemirani (zarb, daf)
Label / Distribution : JMS
Initialement prévu, comme à son accoutumée, pour une parution chez ECM mais retardé pour cause d’un engorgement des productions post-COVID sur ce label, le nouveau disque de Louis Sclavis paraît chez JMS (où était déjà sorti Frontières en 2017). Il présente pour l’occasion un nouveau quartet qui, de fait, pourrait tout autant être appelé quatuor, tant l’attention portée à un son acoustique équilibrée relève autant du monde du classique que de celui du jazz. Voire de la musique du monde, puisque ici le zarb ou le daf de Keyvan Chemirani (avec qui le clarinettiste avait déjà collaboré en 2014 sur Silk and Salt Melodies) apporte ce qu’il faut de chaleur rythmique extra-occidentale pour générer une évasion immédiate.
En réalité, au fil du temps, Sclavis a su créer non seulement une stylistique narrative qui n’appartient qu’à lui mais également une pâte sonore reconnaissable dès les premières notes. Entourant le timbre profond de sa clarinette, deux violoncelles viennent ajouter à la formation une épaisseur délicate et une dynamique empreinte de noblesse. Annabelle Luis vient du baroque (elle joue dans l’ensemble Amaryllis, avec lequel Sclavis a élaboré le répertoire Inspiration Baroque), tandis que Bruno Ducret est plus familier des musiques défendues ici (on a notamment pu l’apprécier sur La Litanie des Cimes de Clément Janinet). De fait, les deux sont complémentaires : à la première la précision de l’archet, au second des pizzicati incisifs qui permettent, ensemble, de couvrir un large spectre d’expressivité (quelques tensions propres au monde contemporain nourrissent également le répertoire).
Sur des compositions de Sclavis (et deux de Ducret), on retrouve des atmosphères d’une grande lisibilité (inspirées du livre L’Usure du monde du photographe Frédéric Lecloux, lui-même inspiré de L’Usage du monde de Nicolas Bouvier). La rondeur et le naturel guident le déroulement des morceaux, l’élégance aussi. Rien n’est à retirer ici, rien n’est à y ajouter non plus. Avec un sens de la retenue et sans emphase, les quatre musiciens construisent un monde sensible, parfois complexe, propice à des interventions solistes qui sont la parfaite incarnation de cette musique émouvante et la replace dans le vivant du présent (fut-il enregistré). L’auditeur se laisse entraîner avec allant à travers cette nouvelle partition où Sclavis oscille, comme peut-être jamais dans son œuvre, entre la mélancolie et la lumière.