Chronique

Louis Winsberg

Temps réel

Louis Winsberg (g, oud, sitar, mand, perc), Patrice Héral (voc, perc, machines), Jean-Luc Di Fraya (voc, perc).

Label / Distribution : Gemini

Parfois, on se dit qu’il devrait toujours en aller ainsi avec la musique. La laisser parler d’elle-même, simplement portée par un élan du cœur, soulevée par une pulsation qu’on nomme groove ou swing, c’est comme vous voudrez, mais surtout sans jamais opposer la moindre résistance aux forces qui la traversent. Une création spontanée.

C’est bien tout cela qui se joue sur ce Temps réel orchestré sur le vif d’une rencontre organisée par Louis Winsberg, chez lui, à Eygalières dans les Bouches-du-Rhône. Le guitariste jouait donc à domicile en ce début de printemps 2019, et avait choisi de mettre sur pied un trio pas comme les autres. À ses côtés en effet, deux musiciens dont les cartes de visite au format XXL sont assez similaires : Jean-Luc Di Fraya et Patrice Héral sont à la fois batteurs et chanteurs vocalistes, chacun dans un registre qui lui est propre. Le premier plus aérien (souvenons-nous par exemple de son travail aux côtés de Raphaël Imbert), le second proche d’un boxeur des mots et des sons (tel qu’on le connaît notamment au sein de la bande à Franck Tortiller). L’histoire veut qu’ils ont fait connaissance juste avant de monter sur scène, invités à échafauder un répertoire sur le vif. Et c’est un grand voyage qui commence, une échappée libre dont les fragrances méditerranéennes imprégnées de blues et de rock vous séduisent aussitôt et peuvent même vous conduire un peu plus loin, du côté de l’Inde.

On a parfois du mal à imaginer que cette heure de musique n’a pas été longuement répétée tant elle coule de source, mélodique et tonique à la fois, sans cesse bousculée et enluminée par la conjugaison de trois imaginations solaires (Louis Winsberg est rayonnant, la complémentarité Di Fraya - Héral est de son côté un régal de belle entente) qui peuvent s’appuyer s’il le faut sur des technologies contemporaines, histoire de fureter vers l’ailleurs, jusqu’à des « Jeux interdits ». On sait bien sûr qu’on a affaire là à de valeureux protagonistes, mais tout de même… C’est un privilège que de pouvoir assister comme en direct à une naissance, celle d’un langage dont le vocabulaire s’est enrichi des outils d’aujourd’hui, sans frontières, s’abreuvant toujours à la source de la mélodie et solidement arrimé à l’amitié (celle-ci est d’ailleurs nourrie par quelques voix et percussions supplémentaires de temps à autre).

Il se trouve que ce moment pas comme les autres fut enregistré, quasiment avec les moyens du bord (un petit magnétophone numérique). Sa restitution chez Gemini Records donne tout son sens à ce qui a été naturellement nommé le Temps réel, cette célébration de l’incertitude qui fait toute la richesse du jazz. On peut ainsi le faire revivre autant que nécessaire.