Chronique

LowerB

Between The Night And The Day Light

Bertrand Lauer (ss), Mauro Gargano (b), Luc Isenmann (dr), Manu Codjia (g)

Label / Distribution : Abrasive Records

« On n’est jamais mieux servi que par soi-même ! » C’est ce qu’a dû se dire Bertrand Lauer il y a quelques années en décidant de monter son propre studio d’enregistrement et de distribuer lui-même ses disques. Pour cela il faut non seulement du courage mais aussi de la patience. Est-ce pour rattraper ce temps « suspendu » que l’album démarre sur les chapeaux de roues ? Tel un bolide dévalant à vive allure les petites routes de campagne entre chien et loup, le trio fait vrombir la machine dès le début du premier thème. Les notes déferlent en cascade sous les doigts du soprano. Lauer est vif, précis et incandescent. Derrière lui, comme pour alimenter le feu d’une locomotive, Mauro Gargano galope à la contrebasse et Luc Isenmann impose un tempo soutenu à la batterie. Mais « Between The Night And The Day Light » - titre qui donne son nom à l’album - est une suite en trois parties construite comme un long voyage (près de 25 minutes), pleine de péripéties et d’aventures. Aussi, après la fougue du départ, la basse de Gargano ramène-t-elle le groupe vers une ambiance plus dépouillée, plus nocturne, comme pour l’aider à retrouver son souffle. La force de cet album réside d’ailleurs dans la capacité du trio à nuancer le propos. Au soprano, Lauer affirme un jeu à la fois maîtrisé et fougueux. Le son est souvent souple et mélodieux. Ce qui n’empêche pas le leader de lâcher parfois des grognements ou de rendre le timbre plus rauque, à la limite de l’agressivité.

Dans les moments plus introspectifs ou plus nonchalants, la rythmique entretient encore la tension. Sorte de maelstrom basse-batterie empêchant le morceau de mollir, elle agit comme si elle voulait garder le conducteur en alerte. La contrebasse s’immisce perpétuellement dans les thèmes, ne se contente jamais d’un simple walking mais participe à l’ouverture des chemins avec douceur, gravité ou nervosité. Le drumming brûlant d’Isenmann s’adapte à toutes les situations. Ténébreux et onctueux aux balais (« Time Is On My Side »), ses solos sont d’une extrême justesse, profonds et pleins de résonances. Il faut aussi signaler la présence sur deux morceaux de Manu Codjia, qui glisse sur la vague de « First Step » (tendre ballade qui rappelle Kurt Weill) et distille des accords doux et scintillants sur « Extension », où il se fait nettement plus accrocheur, décapant, voire cinglant.

Beetween The Night And The Day Light embrasse un large champ de recherches abouties. LowerB donne à entendre un jazz singulier, d’excellente facture. Le groupe joue sur le fil du concret et de l’abstrait, de la douceur et de l’âpreté, de la simplicité et de la complexité. On retire de ce disque le sentiment étrange et agréable de flotter entre le rêve et la réalité… entre la nuit et le jour.