Entretien

Lucien Dubuis

Découverte d’un saxo suisse

En recevant son disque Sumo, chez Altri Suoni, l’envie d’en savoir plus m’a pris. La maturité avec laquelle le projet était ficelé, l’humour utilisé à bon escient, l’invention, le phrasé, tout dans la musique du saxophoniste Lucien Dubuis est signe de belles promesses pour l’avenir. A l’occasion de notre rencontre, il explique son parcours et parle de la situation du jazz en Suisse.

- Quelle est votre formation musicale ?

Je pratique le saxophone alto depuis 13 ou 14 ans. J’ai joué un peu de ténor et de soprano à certaines périodes. La clarinette basse depuis 2 ans et demi. J’ai suivi les cours de l’école suisse de jazz de Berne pendant 3 semestres, puis la formation professionnelle de l’école de Jazz de Montreux. Je suis content de cette école car certains profs y étaient relativement ouverts, et poussaient à une réflexion critique du monde de la musique. Mais je ne pense pas qu’elle soit une référence. Il s’agit d’une école avec un cursus professionnel de 4 ans comprenant cours théoriques, cours d’instruments et workshops.
Je me produis depuis environ 7 ans dans la scène jazz et musique improvisée suisse. J’ai également participé à des projets de chanson, salsa, musique de film et de théâtre. J’ai notamment participé à la tournée européenne du European Jazz Youth Orchestra (dirigé par Pierre Dorge) en tant que premier alto. J’ai reçu le prix de la musique du canton de Berne (CH) en 1998.

- Comment est né le trio ?

Nous nous sommes rencontrés, il y a environ 5 ans à l’occasion d’une exposition photographique, à laquelle nous avons participé en improvisant sur des projections sans avoir jamais joué ensemble auparavant. Cette expérience s’étant révélée concluante, j’ai décidé d’écrire de la musique pour cette formation.

- Vous êtes le leader, assurez-vous l’ensemble des compositions et arrangements ?

C’est effectivement moi qui compose la musique du trio, et elle est destinée spécifiquement aux sons de Gerber et Friedli. De plus, chacun apporte sa contribution personnelle (Sumos, humour, show, ustensiles en tout genre…)

- Quelle est la part d’écriture et d’improvisation dans ce disque ?

Les deux parts sont très importantes dans le disque. J’aime écrire de la musique comme j’adore l’improvisation et la recherche des moments magiques. Certains morceaux sont structurés d’avance (où et quand se passe quoi thèmes et impros…), et d’autres se construisent en groupe, comme « Les tribulations de Horst Tappert », par exemple, qui à la base représentait 3 lignes sur une feuille de papier, et qui maintenant devient toujours plus rempli de boutades et clins d’œil en tous genres.

- Quelles sont vos influences ?

Cannonball Adderley, Beastie Boys, John Zorn, Rage against the Machine, John Coltrane, Michael Jackson, Albert Ayler, Marc Ribot, David Sanborn, Hans Koch, Tom Waits, Eddie Lockjaw Davis, Madonna, Phil Woods, Run DMC, Karl Denson, Sex Mob, Count Basie, Iron Maiden, Elvin Jones, Björk, Joey Baron, Maceo Parker, Portishead, Paul Lovens, Massive Attack, Michael Brecker, Beck, Ella Fitzgerald, The Roots, Marylin Monroe.

- L’humour est important et s’inscrit dans une veine du jazz qui vient de loin. Sert-il à véhiculer un message ?

L’humour est une part très importante dans mon idée de la créativité au sens artistique. Essentiel même, dans un monde où le jazz est devenu un produit d’école où l’on enseigne bien trop souvent ses révolutions de manière dogmatique. Je trouve que l’on a bien besoin d’un peu d’humour dans ce jazz sérieux et élitaire dont beaucoup se gargarisent. On peut également voir ce genre de schémas à d’autres échelles, je crois…

- Comment se passe la scène jazz en Suisse ?

La Suisse est un petit pays, les possibilités de jouer et de rencontres sont par conséquent restreintes, toutefois, nous sommes évidemment ouverts au monde entier ! Nous avons tout de même en Suisse une scène active pour le jazz contemporain (George Gruntz, Irène Schweizer, Pierre Favre, Francioli et Bourquin,…), et quelques institutions malheureusement devenues de pures foires commerciales (Montreux Jazz Festival). La ville de Bienne (où vivent tous les musiciens du trio) est par contre en constante effervescence créative, grâce à ses quelques vieux activistes de la scène improvisée expérimentale internationale (Hans Koch, Martin Schütz,…) et tous les autres ayant été contaminés…

- J’ai l’impression que vous voyez la Suisse comme un isolement. Comment voyez-vous la scène jazz française depuis chez vous ? Un eldorado ? Un enfer ? Une grosse machine ?

Je ne crois pas. Je ne vois pas la scène jazz française plus spécialement qu’une autre, mais je ne connais pas tout ce qui s’y passe. De manière générale, je trouve que l’on se prend trop au sérieux.