Ludovica Burtone
Migration Tales
Ludovica Burtone (vln, voc), Milena Casado (flh), Julieta Eugenio (ts), Marta Sánchez (p), Tyrone Allen II (b), Jongkuk Kim (d)
Label / Distribution : Endectomorph Music
Heureuse surprise que ce deuxième album de Ludovica Burtone qui fait suite à Sparks, marqué par l’intégration d’un quatuor à cordes. Changement de décor avec ce nouveau disque qui fait la part belle aux cuivres. Tout comme Joe Venuti, considéré comme le père du violon jazz et dont la famille avait émigré aux États-Unis au début du vingtième siècle, la violoniste italienne s’est expatriée à New-York. À travers les sept compositions originales qui galvanisent Migration Tales, elle explore les histoires et les défis de femmes immigrées dans ce pays qui naviguent entre plusieurs cultures en quête d’appartenance.
Comment ne pas être emporté par « Sono Parole » et « Our Voices », animés par des sons expérimentaux qui ouvrent et referment cet enregistrement ? Ce n’est pas pour autant une musique absolue qui s’offre à nous, la majorité des compositions privilégient l’aspect mélodique cher à la compositrice qui a fait partie de plusieurs orchestres européens pendant une décennie, dont l’Orchestra Mitteleuropa et l’Orchestra Teatro Lirico di Trieste.
« The Name » avance calmement et se teinte de coloris orientaux. La voix de Ludovica Burtone s’accole à son violon et laisse le champ libre à Julieta Eugenio. Cette saxophoniste argentine se démarque par une maturité déployée au ténor, sa sonorité ronde et chaleureuse sublimant les ballades. Autre révélation fantastique de cet album, Milena Casado qui perpétue la tradition du bugle dans le jazz, non loin du lyrisme de Kenny Wheeler. Elle illumine « In The Last Sun » par un discours où la fluidité prime sur la vélocité ; on comprend mieux pourquoi Kris Davis, Terri Lyne Carrington ou Vijay Iyer ont souvent fait appel à elle.
L’émotion est intense lorsque le piano de l’Espagnole Marta Sánchez soutient gracieusement le thème déployé dans « Outside My Window » qui permet aux musiciennes d’enchaîner des solos de plus en plus éclatants. Le final est émaillé par une captivante intervention à l’archet du contrebassiste Tyrone Allen II. Unique pièce qui vise l’urgence, « Is This Rage » emprunte les voies d’un jazz libertaire et atonal. Une fois de plus, Mileda Casado impressionne par la facilité avec laquelle elle se fond dans les brisures de tempo du batteur coréen Jongkuk Kim. Ludovica Burtone laisse éclater sa verve, sa technique sans faille s’oriente dans les dissonances de la musique contemporaine, l’archet rebondit et les ricochets relancent l’abstraction modale.
La collaboration avec Cleo Reed dans « Our Voices » apporte une belle conclusion à cet album conceptuel. Cette artiste pluridisciplinaire conçoit des paysages sonores, mixe, masterise sans perdre de vue ses recherches élaborées au sein de la scène underground noire. La pièce musicale inusuelle annonce de nouvelles directions nécessaires au renouvellement des musiques improvisées, Ludovica Burtone démontre ici qu’elle est déjà partie prenante de ce champ d’action.

