Scènes

Maalouf, Ehnco, Collignon, trio gagnant des 11e Victoires du Jazz

Les Victoires du Jazz ouvraient pour la première fois la 33e édition de Jazz à Vienne le 28 juin 2013. Le surlendemain, concert d’Ibrahim Maalouf, un des moments forts de ce début de Festival.


Les organisateurs des Victoires du Jazz avaient, l’année dernière, choisi Marciac pour cadre. Une émission de télévision, diffusée (beaucoup) plus tard, qui permet, malgré les pesanteurs et les temps morts du genre, de découvrir la fine fleur du jazz tricolore. A l’applaudimètre, c’est Médéric Collignon qui l’emporte : il est distingué comme auteur de « l’Album de l’année », aux côtés d’Ibrahim Maalouf, artiste de l’année, qui recevra son prix quelques jours plus tard, et de Thomas Ehnco, « Révélation de l’année ».

Co-organisée par Jazz à Vienne et le Rhino Jazz festival, la soirée d’ouverture de Jazz à Vienne, fortement éclairée et surplombée par une grue équipée d’une caméra qui balaie le théâtre antique, nous fait passer du cirque musical à l’émission de télé roborative. Pas de musiciens acrobates dans le ciel comme l’année dernière, ni de formation totalement déjantée sur scène. On fait dans le sérieux, même si l’animateur multiplie blagues et bons mots pour créer une ambiance un tant soit peu festive. Malgré le temps pour le moins frisquet et quelques gouttes de pluie scandant le tempo en milieu de soirée, près de cinq mille personnes prennent place sur les gradins. Pour les organisateurs, c’est l’occasion rêvée de regrouper en seule soirée la fine fleur du jazz français actuel.

Les plateaux se succèdent à un rythme effréné, obligeant les techniciens à opérer des miracles. S’y succèdent de superbes jeunes ou moins jeunes pousses du jazz comme Baptiste Herbin, Pierrick Pedron, Thomas de Pourquery, Thomas Enhco, voire les plus français des musiciens italiens, Francesco Bearzatti et son Tinissima quartet, ou Cécile McLorin Salvant dont c’est la première apparition lors de ce Festival - elle est cette année l’artiste en résidence ; il y en aura bien d’autres. L’inconvénient est que s’agissant d’un plateau de télévision, la soirée est de facto hachée, marquée de nombreux temps morts, parfois superbement remplis par les danseurs hip hop lyonnais des « Pokemon Crew » mais aussi par des interviews qui traînent en longueur. Bref, un manque de rythme malheureusement inhérent à l’exercice.

La captation du concert de Médéric Collignon :

Reste le plus important : les lauréats. L’objet principal, tout de même, de ces Victoires décernées par un jury de deux cents personnalités du jazz présidé par l’harmoniciste Jean-Jacques Milteau. Voici donc portés au pinacle du jazz tricolore actuel le très jeune pianiste Thomas Enhco, 23 ans, au titre de la « Révélation de l’année » avec son troisième album, Fireflies ; Ibrahim Maalouf, qui avait fait des étincelles l’an dernier sur cette même scène : « Artiste de l’année ». Grosse frustration : ni l’un ni l’autre n’est présent pour recevoir sa Victoire. Les tournées d’été… Frustration atténuée par le fait qu’on entendra Maalouf le 30 juin au Théâtre antique avant Chick Corea. Le seul vainqueur présent est Médéric Collignon, cornettiste, saxophoniste et multi-vocaliste : le nouveau « Monsieur 100 000 volts » du jazz, distingué par son dernier disque, A la recherche du roi frippé. Enigmatique, ce titre ? Non, car il renvoie à l’inspirateur de l’album, le mythique King Crimson, à son guitariste-leader Robert Fripp, et à leur célèbre In The Court of the Crimson King, chef d’œuvre du rock progressif anglais des années soixante revisité ici de façon magistrale par le trompettiste en compagnie d’un double quatuor à cordes au jeu particulièrement enlevé.


I. Maalouf, © Chr. Charpenel

Auréolé de son prix d’« Artiste de l’année », donc, Ibrahim Maalouf propose ce 30 juin aux cinq mille festivaliers un concert fort différent de celui l’année dernière, et inspiré du Miles Davis d’Ascenseur pour l’échafaud (film de Louis Malle qui, en 1957, fit connaître Miles Davis en France) durant lequel il reprend ponctuellement, en guise de clin d’œil appuyé, sa fameuse posture dos tourné au public. Face au batteur Clarence Penn, trompette touchant presque le sol, Ibrahim Maalouf rappelle par ce geste-hommage les grands concerts dont le trompettiste américain a laissé la trace dans les pierres du Théâtre antique. Le Franco-Libanais est là pour présenter son dernier disque : Wind. « Un jazz plus proche des fondamentaux du jazz, très éloigné du jazz électrique », précise-t-il d’entrée.

Accompagné de Frank Woeste, pianiste franco-allemand longtemps entendu aux côtés de Médéric Collignon au sein de son Jus de Bocse et co-arrangeur de Wind, et entouré de deux autres solides musiciens new-yorkais, Mike Turner au saxophone et Larry Grenadier à la contrebasse, il redonne vie au « Miles Spirit » sans pour autant copier servilement le Maître, qu’il admire autant que son père Nassim, inventeur de la trompette à quatre pistons à même de jouer les maqâms (échelles mélodiques) arabes. Rien ne l’ennuie plus que de s’enferrer dans un style musical unique. Ainsi, le parti-pris de départ ne l’empêche pas d’interpréter une pièce d’un compositeur classique russe, le Maurice André slave, ou encore « La Javanaise » de Gainsbourg. Maalouf aime brasser les cultures, c’est sa griffe, tout autant que son souffle pur reliant le jazz de l’Occident et les couleurs modales de l’Orient où vibre le chant du muezzin. Absent lors de la remise des « Victoires du Jazz » le 28 juin, il reçoit à l’issue de ce concert son trophée d’Artiste de l’année des mains du président des Victoires. L’occasion de reprendre une dernière fois « Waiting » (l’attente) sous le ciel étoilé, avec long chorus dos tourné au public. On ne devrait pas attendre bien longtemps avant de le voir revenir à Vienne…

La seconde partie de soirée est à l’aune de la première, grâce à un habitué de Jazz à Vienne, Chick Corea, qui lui-même a longtemps accompagné le grand Miles. Cet éternel adolescent de soixante-douze ans aux grands yeux perpétuellement étonnés est sur scène pour présenter son dernier enregistrement, The Vigil. Une dentelle musicale finement ouvragée permettant à chaque musicien de donner le meilleur de lui-même. Epaules de baroudeur, fine moustache à la Eroll Flynn, Tim Garland en profitera pour lancer des éclats d’étoiles dans un ciel d’une grande pureté.