Chronique

Mal Waldron - Steve Lacy

The Mighty Warriors

Steve Lacy (ss), Mal Waldron (p), Reggie Workman (b), Andrew Cyrille (d)

Label / Distribution : Elemental Music

Rappelez-vous : Snake Out, Herbe de l’oubli, Let’s Call This, Sempre Amore, Communiqué , Hot House , Japan Dream , At The Bimhuis 1982 , Live in Berlin ! Ces albums parus sur différents labels ont tous témoigné de l’osmose entre deux hommes qui se jetaient à l’eau, Steve Lacy et Mal Waldron. Deux artistes qui brillent éternellement au firmament.

Le point de jonction entre l’héritage musical issu de Thelonious Monk et les propensions novatrices ont fait de ce duo une référence dans l’histoire du jazz. Journey Without End , Mal Waldron With The Steve Lacy Quintet, Hard Talk, One Upmanship scelleront cette complémentarité musicale agrémentée par des sections rythmiques de rêve. Car ce sont bien de rythmes dont il est question dans The Mighty Warriors publié chez Elemental.

Heureuse surprise certes, car depuis la disparition de ces maîtres, seuls les réécoutes régulières de leurs albums respectifs comblaient nos solitudes. Une lointaine époque permettait de nous achalander chez le disquaire pour découvrir le dernier album de Steve Lacy avec son sextet parisien et le pianisme inimitable de Mal Waldron dans ses disques tonifiants. Cette pépite enregistrée à Antwerp en Belgique en 1995 a été transférée à partir des bandes originales conservées par Patrick Wilen, le livret intègre les réflexions du producteur Zev Feldman et de l’écrivain Adam Shatz. Il est important de se souvenir que dès ses premiers disques publiés, Steve Lacy avait déjà enregistré avec le fleuron des batteurs. Son premier album Soprano Sax en 1958 avec Dennis Charles, Reflections en 1959 avec Elvin Jones, The Straight Horn Of Steve Lacy en 1961 avec Roy Haynes et Evidence en 1962 avec Billy Higgins. Cet inventaire nous incite à prendre conscience du rapport instauré entre le saxophoniste et ses drummers qui seront toujours des partenaires de premier choix, Oliver Johnson et John Betsch deviendront les ultimes compagnons de route des formations lacyennes. La présence d’Andrew Cyrille est ici capitale, ses interventions élargissent le champ des possibles, « Epistrophy » maintes fois entendu se réinvente avec des habits neufs, la charleston et la caisse claire galopent. La pièce d’ouverture « What It Is » déborde d’énergie, bercée par des syncopes irrégulières. Le chant du soprano étonne comme toujours, angularités et brisures harmoniques se fondent et soulignent l’inventivité stylistique d’un Lacy souverain. « Longing » réinvente la modernité tandis que Mal Waldron, émouvant comme lorsqu’il accompagnait Billie Holiday à la fin de sa carrière musicale, essaime un discours cadencé teinté de blues dans « Monk’s Dream ».

Par ses tonalités fluctuantes, le phrasé à l’archet de Reggie Workman transcende « Variations of III » hanté par les conceptions minimalistes d’Anton Webern et précède la suite confondante « Medley : Snake Out / Variations On a Theme by Cecil Taylor ». Les balancements saccadés du pianiste, la batterie éclatante enlacée à la contrebasse et le paroxysme allégorique du saxophoniste annoncent la tempête, la musique se réinvente.

Loin d’un témoignage destiné à une muséographie, The Mighty Warriors s’apparente à une offrande, celle d’un concert retentissant et superbement restitué. L’incorporation de la richesse musicale afro-américaine du XXème siècle s’y propage fiévreusement à l’instar des improvisations qui confinent toutes au sublime.